Mélenchon-Glucksmann, les coulisses d’une rivalité qui bouscule la gauche

Mélenchon-Glucksmann, les coulisses d’une rivalité qui bouscule la gauche

Dans le vieux train qui revient de Clermont, ce 25 juin 2020, le bruit du train qui claque sur les rails et une conversation qui anime l’avant d’un wagon. Face à face, Raphaël Glucksmann et Jean-Luc Mélenchon. Hasard de la vie politique, les deux hommes se sont retrouvés au même endroit au même moment, avec le cégétiste Philippe Martinez et les ex-salariés de Luxfer, l’usine de fabrication de bouteille d’Oxygène fermée depuis un an. Une sombre histoire de retard les a embarqués dans la même voiture de l’intercités qui doit filer vers Paris. Cinq heures, ça laisse du temps pour débattre de la révolution française, l’Europe, la Chine, la Russie, la place de la France dans le monde, de l’avenir de la gauche aussi.

“J’ai souvenir d’une discussion très agréable, entre deux intellectuels qui s’écoutaient et prenaient plaisir à échanger”, raconte l’insoumis Paul Vannier, témoin de la scène. “Vous voulez quitter l’Otan, très bien, mais il faudra bien faire une défense européenne dans ce cas”, provoque Glucksmann. Mélenchon rechigne : “Jamais ! Ce sera sous l’égide des Allemands.” Et à certains moments, des convergences aussi. “La géopolitique commande le politique qui commande l’économie”, expose le leader de La France insoumise devant un Glucksmann qui opine du chef. “Au fond, tu es presque un insoumis”, moque Vannier. Rires dans le train. On invite l’égérie de Place publique à Valence, la fête de rentrée des insoumis qui se tient fin août. Ça ne se fera finalement pas. “Dans ce train de Clermont, Mélenchon a compris qu’il avait un concurrent idéologue face à lui”, veut croire Pierre Natnaël, conseiller de l’eurodéputé socialiste, qui se lèvera de son fauteuil ce jour de juin 2020 pour immortaliser le moment.

L’obsession de Mélenchon

Les souvenirs sucrés de la politique s’effacent avec le temps, et d’autant plus facilement depuis que la campagne européenne bat son plein. La gauche s’y lance divisée. À deux mois et demi du scrutin, chacun cherche à se différencier de l’autre, hier camarades de feu la Nupes. Il faut “créer sa dynamique”, regarder du coin de l’œil les sondages. Ils ne sont guère fameux pour l’écologiste Marie Toussaint, catastrophiques pour le communiste Léon Deffontaines, poussifs pour l’insoumise Manon Aubry, plus heureux pour Raphaël Glucksmann. Les plus favorables lui offrent 13 % d’intentions de votes. La famille socialiste rêve même d’une renaissance post-européenne, rien que ça. Et c’est toute l’architecture de Jean-Luc Mélenchon, créée en 2022 avec la Nupes, qui vacillerait. Un député insoumis se désespère : “Jean-Luc nous avait dit que les socialistes étaient rentrés dans le rang, qu’avec la Nupes, il n’y aurait plus personne entre nous et la macronie mais là, c’est la social-démocratie qui revient dans le jeu à gauche.”

Glucksmann, nouvelle obsession de Jean-Luc Mélenchon. Tard le soir, il publie et republie le même article, tiré d’une feuille de chou en ligne proche de LFI, expliquant pourquoi “Raphaël Glucksmann n’est pas un camarade”. Oubliée, la curiosité intellectuelle pour ce socialiste dont il disait qu’il n’était “pas comme les autres”, moins plastique qu’un Pierre Jouvet, numéro deux de la liste socialiste, tantôt pro-Macron, tantôt pro-Nupes. Les bégaiements disent parfois la fébrilité.

Est-ce pour cela que Jean-Luc Mélenchon s’est remis en selle un peu plus tôt que prévu ? Celui qui scandait “Faites mieux” et jurait “vouloir être remplacé” a prononcé à Villepinte un discours de candidat à l’élection présidentielle, effaçant celui de la championne insoumise Manon Aubry. “Personne n’a envie de passer après un tel discours. Ce n’est pas un cadeau”, grinçait des dents une députée à la sortie du show. Le lendemain, sur le plateau de Dimanche en politique sur France 3, Mélenchon renchérit au sujet de 2027 : “Je fais partie des hypothèses, tout le monde le sait.” Une façon de “prendre de court ses concurrents”, a écrit Le Monde, ce qui l’a agacé au plus haut point. “Des ragots”, a-t-il éructé sur X (ex-Twitter). “Je répète : je souhaite être remplacé. François Ruffin, Mathilde Panot et Manuel Bompard y travaillent avec succès. Je leur souhaite bonne chance.” Être ou ne pas une hypothèse, Jean-Luc Mélenchon s’y perd du jour au lendemain.

Faire vivre le vote utile

Au royaume insoumis, quand tout ne va pas si bien, il est important de dire que tout va bien. Mardi 19 mars, lors de la traditionnelle réunion de groupe, Manuel Bompard vient mobiliser les députés sur les européennes. L’Europe ? C’est bien d’en parler, mais il faut aussi et surtout mettre l’accent sur la paix à Gaza et sur les sujets nationaux. La présidentielle de 2027 est en jeu, Jean-Luc Mélenchon l’a dit devant des étudiants à Nanterre : “Le 9 juin, ce n’est pas une élection européenne, c’est le premier tour de l’élection présidentielle de 2027.”

Seulement une petite trentaine d’élus assiste au laïus de Bompard, et certains font la moue. Un cadre insoumis interpelle le coordinateur de LFI. Au rassemblement de Villepinte, en Seine-Saint-Denis, pourquoi la députée du coin, Clémentine Autain, n’a-t-elle pas eu droit à la parole sur scène comme le veut l’usage ? Et François Ruffin alors ? Il est populaire. Pourquoi n’en profite-t-on pas ? “Pour faire campagne, il faut se mettre au service de la campagne”, répond froidement Bompard. François Ruffin s’en est allé avant la fin de la réunion. L’affront sera réparé quelques jours plus tard : un déplacement de campagne de Manon Aubry, avec Younous Omarjee, numéro deux de la liste LFI et proche de Mélenchon, est organisé. Ils iront rencontrer les salariés de Métex à Amiens, avec Ruffin, la semaine suivante.

Les sondages ? On les balaie d’un revers de main à La France insoumise. “Si on fait 6 %, ce n’est pas grave. On peut faire 22 % à l’élection présidentielle suivante”, a plastronné Bompard devant les quelque députés, rappelant le peu d’influence du scrutin de 2019 sur la présidentielle de 2022 qui a suivi. Jean-Luc Mélenchon les regarde, lui. Il a passé sa vie à les regarder, comme il passe son temps à lire la presse bourgeoise. Il voit bien que celle-ci fait les yeux doux à Raphaël Glucksmann. Il paraît même qu’Erik Orsenna a demandé audience auprès de lui, avant le début de la campagne. L’insoumis en chef s’agace que les réseaux progressistes en tous genres tombent sous le charmes du candidat socialiste, curieux qu’ils sont de se chercher un champion en vue de 2027 et d’éviter le piège du vote utile dont Mélenchon a profité la dernière fois. “Glucksmann a repris le langage du vieux PS, celui de François Hollande, corrige un cacique LFI. Il fait nos affaires. S’il fait un bon score, il ne fera qu’ajouter un nom supplémentaire dans la liste des prétendants. On comptera les points à la fin de la partie, en attendant il y a une élection.”

Amours passés

Raphaël Glucksmann se délecte des inquiétudes insoumises. “Si on est trop haut, derrière Mélenchon est mort”, n’hésite pas à lancer son entourage, qui espère “aspirer” le vote écologiste et le vote macroniste, et qui pérore : “il n’y a pas de duel entre Jordan Bardella et Valérie Hayer. Elle est 13 points derrière lui dans les sondages, et elle va rétrograder. Le match, il est entre l’extrême droite et la gauche. Et qui est la digue face à l’extrême droite ? Ce n’est pas Mélenchon, c’est Glucksmann.” Ce dernier se sent pousser des ailes et aime bien rappeler sa liberté à gauche, lui qui n’a jamais été d’un amour aveugle de la Nupes. Quand la coalition de gauche a vu le jour, il l’a soutenue, mais du bout des lèvres. “Nous avons besoin de ce rassemblement […]. Mes divergences avec la France Insoumise et Jean-Luc Mélenchon sont connues et elles sont immenses, sur des sujets plus que fondamentaux”, avait-il écrit dans un communiqué de presse.

À l’époque pourtant, derrière ses mots, se jouait un autre tango entre les deux hommes. Une centaine de candidats aux législatives étiquetés Place Publique s’étaient retirés pour ne pas faire perdre la dynamique de la Nupes. Place publique, qui discutait déjà avec les socialistes et les écologistes, avait envoyé un émissaire contacter Paul Vannier, le monsieur élections à LFI. Plusieurs messages pour tenter de s’installer à la table des négociations de cette nouvelle union de la gauche, restés sans réponses.

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