Mines de lithium : pourquoi la France a une carte à jouer

Mines de lithium : pourquoi la France a une carte à jouer

A programme gigantesque, réflexion majeure. Depuis le 11 mars et jusqu’au 7 juillet prochain, les Français, résidents ou non dans l’Allier, sont invités à donner leur avis sur le projet de mine de lithium situé sur la commune d’Echassières et porté par la société Imerys. Ce débat public, une première pour le secteur, donne le ton d’une interrogation qui dépasse le cadre de ce département du Massif central : le pays doit-il rouvrir des mines et exploiter son sous-sol à la recherche des matériaux essentiels pour la transition énergétique ? Complexe réflexion dans laquelle se mêlent des enjeux de souveraineté et d’acceptabilité. Localement, habitants et écologistes s’inquiètent de l’impact environnemental d’une telle mine. Elle n’a pourtant plus grand-chose à voir avec celles d’il y a cinquante ans, estime Eric Marcoux, docteur ès sciences en géologie et auteur de Le Minéral dans notre quotidien, édité par la Société géologique de France : “Les gens se représentent toujours Germinal, mais entre la mine d’hier et celle d’aujourd’hui, le fossé est le même qu’entre une locomotive d’antan et notre TGV.”

A Echassières, le gouvernement entend attraper le train de la transition et développer une filière de batteries électriques – dont le lithium est un composant essentiel. Il soutient ainsi le projet du groupe français et ambitionne de s’affranchir de la dépendance étrangère, surtout chinoise, en matière d’approvisionnement. Mais le pourra-t-il vraiment ?

Dans les années à venir, la demande globale en lithium s’annonce colossale, préviennent les experts. Selon le scénario “zéro émission” de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), elle devrait être multipliée par cinq entre 2022 et 2030. Et cette accélération pourrait être encore plus importante en Europe, alors que le continent souhaite produire d’ici à la fin de la décennie un quart des batteries des voitures électriques – contre 3 % annuellement en 2020 -, tout en ayant interdit la vente de véhicules à moteur thermique à l’horizon 2035. L’exécutif français s’est, lui, fixé l’objectif de fabriquer deux millions de véhicules électriques sur le territoire d’ici à 2030. Qu’elle soit tenable ou non, cette ambition requiert une quantité importante de ressources.

Plusieurs gisements en France

La France a négligé pendant des années la mise à jour de ses connaissances sur son sous-sol. Mais elle est chanceuse : elle peut compter sur des gisements identifiés de lithium, issus de réserves en roches dures. Celui de Beauvoir, sur la commune d’Échassières, où a longtemps été extrait du kaolin, est le mieux connu. Imerys compte y extraire et transformer 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an à partir de 2028, et pendant au moins 25 ans. Cette production, si elle sort de terre, permettrait d’équiper annuellement près de 700 000 véhicules électriques, détaille le groupe. Et donc de couvrir un tiers de l’objectif français d’ici la fin de la décennie. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a également repéré d’autres ressources en lithium dans le Finistère, et présume d’autres gisements en Haute-Vienne et dans la Creuse. Pour le moment, aucun projet n’est lancé dans ces régions. Or, “pour ouvrir une mine, il faut du temps, entre 10 et 15 ans”, précise Eric Marcoux. Un horizon temporel qui compromet le rêve d’autosuffisance française en lithium, du moins à moyen terme.

Emplacement des ressources de lithium en France.

D’autres sources prometteuses ont cependant été identifiées, cette fois-ci dans les eaux géothermales. Il s’agit d’eaux chaudes et souvent salées, situées à de grandes profondeurs, et utilisées pour la production de chaleur et d’électricité. Plusieurs permis d’exploration sont en cours d’instruction. Dans le Massif central, où la société Lithium de France, filiale d’Arverne Group, a obtenu en février un nouveau permis exclusif de recherche. Et dans le bassin rhénan. Là-bas, le projet d’Eramet et d’Electricité de Strasbourg, nommé Ageli, semble le plus avancé. Les deux entreprises veulent développer une production de lithium à partir de saumures géothermales sur la commune de Rittershoffen, en Alsace. Les premiers kilos de carbonate de lithium de qualité batterie ont été fabriqués fin 2021. A terme, le consortium table sur 10 000 tonnes par an à l’horizon 2030. Selon ses calculs, basés sur les données de la Stratégie nationale “Batteries”, cette production “pourrait répondre à environ 10 % des besoins français en carbonate de lithium”, estime Ludovic Donati, directeur du projet lithium français d’Eramet.

Avantage au lithium géothermal

“En matière d’acceptabilité des populations, le lithium géothermal présente un énorme avantage, juge Benjamin Louvet, responsable matières premières au sein d’OFI Invest Asset Management. L’impact environnemental et social est très faible : l’installation industrielle est déjà présente et la géothermie assure la production d’électricité du site.” Autre atout : “ce lithium est raffiné presque immédiatement, ce qui n’est pas que le cas de celui issu de roches dures, comme à Échassières”, poursuit l’expert.

La volonté du gouvernement est de construire une chaîne de valeur complète, allant de l’extraction à la fabrication des batteries, puis de leur recyclage. “Il n’y a pas besoin d’être 100 % français puisqu’on se situe dans un environnement industriel européen”, tempère Ludovic Donati. A en croire le responsable d’Eramet, l’autonomie totale de l’Hexagone reste un vœu pieux. Mais il assure que, mis bout à bout, les différents projets “pourraient largement couvrir la moitié de nos besoins”.

“Avec Échassières et le bassin rhénan, le pays a clairement une place à prendre sur ce marché, ajoute Benjamin Louvet. Il se vend aujourd’hui près de 80 millions de véhicules par an dans le monde. Notre potentiel national de production en couvrirait quasiment 2 %. C’est loin d’être négligeable”. A défaut de posséder un sous-sol particulièrement riche en métaux critiques, ni un poids important dans les arcanes de la diplomatie minière, la France pourra donc tirer son épingle du jeu si elle parvient à optimiser sa filière. On connaît l’adage : mieux vaut un petit chez soi qu’un grand chez les autres.

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