Multiplication des lignes électriques : quel impact sur le paysage français ?

Multiplication des lignes électriques : quel impact sur le paysage français ?

L’effort est colossal. Si l’Europe veut réussir sa transition écologique et énergétique, elle devra mettre sur la table… 1 500 milliards d’euros par an, selon la nouvelle feuille de route dévoilée mardi 6 février à Bruxelles. Dans cette avalanche de liquidités, une part importante concerne la modernisation du réseau électrique ainsi que le développement de nouvelles infrastructures. Éoliennes, lignes à très haute tension, réacteurs nucléaires… Face aux enjeux climatiques, l’Europe et la France musclent leur maillage. Au point de voir leur paysage encombré d’objets indésirables ? “Le cap fixé en matière de politique énergétique aura forcément une empreinte sur le territoire”, prévient Chloé Latour, directrice chargée de la stratégie et de la régulation chez RTE, le gestionnaire du réseau électrique.

Dans les locaux parisiens de l’entreprise, nombre d’experts planchent déjà sur le futur schéma directeur du réseau national. Le document, non finalisé, devrait paraître au mois de juin. L’objectif ? Pousser plus loin l’analyse des besoins en matière d’énergie, donner des perspectives de déploiement pour les acteurs publics tout en leur laissant quelques marges de manœuvre sur les différents tracés possibles.

“Nous mettons l’accent en priorité sur l’optimisation des installations existantes ainsi que sur la mutualisation des infrastructures, confie Chloé Latour. Par exemple, pour certains grands sites industriels comme Dunkerque ou Fos-sur-Mer, nous avons estimé les besoins globaux dans la zone et nous allons proposer une infrastructure commune. Nous tenons également compte de nouvelles options technologiques comme le stockage par batteries. Dans tous les cas, nous ne développons que des infrastructures indispensables. Toutefois, dans notre futur plan du réseau, il y aura bien une part nouvelle d’équipement”.

Et pour cause : “La lutte contre le changement climatique ne se conçoit pas sans électrification massive. Et celle-ci passe à la fois par un renforcement des lignes à très haute tension, la mise en place de nouvelles interconnexions avec les pays voisins ainsi qu’une densification importante du réseau de distribution, étroitement complémentaire de celui du transport”, énumère Christophe Bouneau, professeur d’histoire économique à l’Université Bordeaux Montaigne, et coordinateur de la Chaire Réseaux électriques et sociétés en transition.

“10 à 20 % de nouvelles lignes électriques”

La France vit un tournant, semblable au plan Messmer lancé en 1974. “Comme à l’époque, il y aura un avant et un après. La conjonction du programme nucléaire et du développement massif des énergies renouvelables devra s’accompagner d’un immense effort d’équipement du réseau de transport et de distribution d’énergie, et donc d’aménagement des territoires”, précise l’historien. Quel sera l’impact sur le paysage ? “Dans les quinze ans qui viennent, nous aurons sans doute 10 à 20 % de nouvelles lignes électriques”, entrevoit Christophe Bouneau. Une extension non négligeable, mais qui ne devrait pas défigurer la France. “Plusieurs éléments limitent les risques de prolifération”, rappelle le spécialiste. Primo, l’éolien terrestre ne devrait pas connaître de fort développement car l’énergie du vent sera surtout captée en mer. La France aura donc besoin de moins de lignes de raccordement sur terre. Parallèlement, l’essor du solaire doit beaucoup aux installations individuelles sur les toits des maisons, et moins à la multiplication de vastes champs de panneaux photovoltaïques. Enfin, beaucoup de lignes électriques – celles où la tension est la plus faible – peuvent être enterrées. “On le fait beaucoup pour celles de 63 000 ou 90 000 volts”, confirme Chloé Latour.

Le sujet de l’acceptabilité des installations par la population n’en reste pas moins sérieux. A partir de 220 000 volts, l’ensevelissement des lignes devient extrêmement coûteux et pose des défis techniques. Il faut donc les déployer à l’air libre. “Même si les nuisances visuelles et sonores ne concernent qu’une partie très faible de la population, il y aura des personnes impactées, pour lesquelles il faudra imaginer des compensations”, prédit Christophe Bouneau. Par ailleurs, les perceptions ont changé. Dans les années 1960, l’ingénieur travaillant chez EDF jouissait d’une aura positive : il apportait la lumière à la population. François Mitterrand en avait même fait un élément de campagne lorsqu’en 1965, il s’affichait devant un pylône électrique avec pour slogan “Un président jeune pour une France moderne”. Autres temps, autres mœurs. Aujourd’hui, les Français veulent le beurre et l’argent du beurre. L’électricité sans ses nuisances, qu’elles soient réelles – leur incidence sur le paysage – ou supposées : aucune étude indépendante n’a conclu à un impact sur la santé des ondes électromagnétiques issues des lignes à très haute tension.

C’est avec tout cela en tête que RTE prépare son futur schéma de réseau. “Il sera soumis à la commission nationale du débat public et à l’autorité environnementale, ainsi qu’au La . Il n’est donc pas destiné à être débattu uniquement entre nous. C’est pourquoi, nous allons lancer très bientôt une consultation publique sur le sujet”, précise Chloé Latour. Les Français se laisseront-ils convaincre ? Un exemple récent montre l’utilité d’avoir un réseau suffisamment maillé : “Sans les interconnexions avec l’Europe, nous aurions eu du mal à passer l’hiver 2022 en raison des difficultés rencontrées par EDF sur ses réacteurs”, rappelle Christophe Bouneau. Certains l’oublient un peu vite. L’Union européenne a aussi ses vertus protectrices.

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