Municipales en Turquie : l’opposition inflige à Erdogan sa plus sévère défaite électorale

Municipales en Turquie : l’opposition inflige à Erdogan sa plus sévère défaite électorale

C’est la pire débâcle électorale en deux décennies de l’AKP. Le parti islamo-conservateur du président turc Recep Tayyip Erdogan a concédé dimanche 31 mars la victoire historique de l’opposition aux élections municipales. “Malheureusement nous n’avons pas obtenu les résultats que nous souhaitions”, a déclaré le chef de l’Etat, qui s’exprimait au siège de son parti à Ankara.

Près de 99 % des urnes à l’échelle nationale ont été dépouillées. Le principal parti de l’opposition, le CHP (social-démocrate), a revendiqué sa victoire à Istanbul et Ankara, les deux plus grandes villes de la Turquie. Il a également raflé de nombreuses autres, comme Bursa, grosse ville industrielle du nord-ouest acquise à l’AKP depuis 2004. La proclamation des résultats définitifs par la Haute commission électorale (YSK) attendue ce lundi dans la journée confirmera ces résultats, déjà intégrés par les principaux intéressés, dont le chef de l’Etat.

Interrogé par l’AFP, Berk Esen, politiste à l’université Sabanci à Istanbul, a évoqué “la plus grande défaite électorale de la carrière d’Erdogan”, notant à l’inverse que le CHP avait enregistré “son meilleur résultat depuis les élections de 1977”.

“Ce soir la démocratie va déferler”

Depuis le siège de son parti à Ankara et devant une foule abattue, inhabituellement silencieuse, le président turc a promis de “respecter la décision de la Nation”. Peu auparavant, le maire sortant d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, quinquagénaire médiatique et fringant, avait annoncé sa réélection à la tête de la plus grande ville de Turquie, qu’il a conquise en 2019, sans même attendre la proclamation des résultats officiels. “Ce soir la démocratie va déferler […] sur les places, dans les rues, les universités, les cafés et les restaurants d’Istanbul”, a lancé l’édile face à des dizaines de milliers de ses partisans, exultant, accourus devant le siège de la municipalité, sous une déferlante de drapeaux rouges turcs et de fumigènes.

A Ankara, le maire CHP Mansur Yavas, largement en tête, avait lui aussi déjà revendiqué la victoire, affirmant devant une foule en liesse : “Ceux qui ont été ignorés ont envoyé un message clair à ceux qui dirigent ce pays.” “Les électeurs ont choisi de changer le visage de la Turquie”, a estimé le chef du CHP, Ozgur Ozel.

Outre Izmir (ouest) troisième ville du pays et fief du CHP, et Antalya (sud), où les partisans de l’opposition ont commencé à célébrer la victoire dans les rues, la principale formation de l’opposition a réalisé une percée spectaculaire en Anatolie. Elle fait la course en tête dans des chefs-lieux de provinces longtemps tenus par l’AKP, selon des résultats quasi définitifs qui ont pris de court les observateurs.

Des bastions d’Erdogan résistent

Le président Erdogan, âgé de 70 ans, dont 21 au pouvoir, avait jeté tout son poids dans la campagne, en particulier à Istanbul, le “joyau” du pays, sa capitale économique et culturelle dont il fut le maire dans les années 1990 et qui a basculé dans l’opposition en 2019. Mais l’engagement du chef de l’Etat, qui a annoncé début mars que ces élections étaient “ses dernières”, n’a pas suffi. Les candidats de l’AKP se sont toutefois maintenus en tête dans plusieurs grandes villes d’Anatolie (Konya, Kayseri, Erzurum) et de la mer Noire (Rize, Trabzon), bastions de Recep Tayyip Erdogan. Tout au long de la campagne, le président turc a enchaîné les meetings quotidiens, bénéficiant d’un temps d’antenne illimité sur les télévisions publiques, quand ses adversaires en étaient presque privés.

La défaite de son Parti de la justice et du développement, notamment à Istanbul, devrait avoir des conséquences. Recep Tayyip Erdogan a concédé que les résultats de ces élections constituaient un “tournant” pour son camp. S’accrochant à la ville d’Istanbul, le président avait annulé l’élection municipale de 2019, pour finalement voir Ekrem Imamoglu l’emporter de plus belle lors d’un second scrutin organisé trois mois plus tard, subissant ainsi son pire revers électoral depuis son arrivée au pouvoir en 2003 en tant que Premier ministre.

Le maire d’Istanbul, abonné au podium des personnalités politiques préférées des Turcs, n’a eu de cesse depuis de se poser en rival direct du chef de l’Etat, qui l’a pourtant dépeint en “maire à temps partiel” dévoré par ses ambitions nationales. Pour nombre d’observateurs, le maire d’Istanbul, qui fait plus que jamais figure de “patron” de l’opposition, disposera une fois élu d’un boulevard vers la présidentielle de 2028. Ekrem Imamoglu est dans le viseur du pouvoir qui l’a fait condamner fin 2022 à deux ans et sept mois de prison pour “insulte” aux membres du Haut comité électoral turc. L’édile a fait appel mais cette peine continue de planer comme une menace sur son avenir politique et l’avait écartée de la course à la présidence en mai 2023.

Outre une possible lassitude de retourner aux urnes dix mois après les élections présidentielle et législatives de mai 2023, les électeurs turcs, confrontés à une grave crise économique, ont sanctionné le gouvernement pour ces raisons économiques et sociales : l’inflation de 67 % sur un an et le dévissage de leur monnaie rendent le quotidien de nombreux Turcs de la classe moyenne insoutenable. Cette désaffection s’est notamment traduite par une participation en recul par rapport à 2019. Selon la journaliste indépendante Ariane Bonzon, spécialiste de la Turquie, ce taux de participation est de 76 %.

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