Numérique : face aux services publics kafkaïens, le bel avenir de la GovTech

Numérique : face aux services publics kafkaïens, le bel avenir de la GovTech

A première vue, OpenGov ressemble à une société de logiciels comme les autres. Elle a été créée en 2012 à San Francisco, a levé 125 millions de dollars auprès de grands investisseurs en capital-risque comme Founders Fund, Thrive Capital ou Andreessen Horowitz. Marc Andreessen siège à son conseil d’administration aux côtés de l’ancien PDG de Cisco, John Chambers. Forte de son succès, OpenGov vient d’être rachetée 1,8 milliard par Cox Enterprises, un conglomérat familial diversifié dans les médias et l’automobile, affichant 22 milliards de revenus et basé à Atlanta.

Comme les autres ? Pas tout à fait. Les cofondateurs d’OpenGov se sont rencontrés alors qu’ils travaillaient pour California Common Sense, une organisation à but non lucratif qui défend le principe du partage des données publiques. Ils ont créé OpenGov afin, à long terme, de proposer une suite logicielle moderne aux acteurs publics, notamment les collectivités territoriales.

Il s’agissait, et s’agit encore, d’une ambition folle tant ces acteurs sont habitués à commander au privé des développements informatiques spécifiques, persuadés qu’ils sont que leurs besoins sont uniques. Ces outils maison sont ensuite hébergés sur leurs propres serveurs. Et chaque évolution demande de nouveaux développements. L’approche d’OpenGov est de leur vendre à tous, selon un modèle d’abonnement, les mêmes logiciels pour la budgétisation et la planification financière, la gestion des actifs et de la dette, les achats ou encore la gestion des permis et licences.

Le modèle, questionné au départ, a fait florès, puisque OpenGov compte 1 900 clients, collectivités territoriales, districts scolaires ou agences de l’Etat. A titre d’exemple, l’une de ces dernières initiatives est de faciliter la création d’une procédure de licence pour la vente de marijuana, substance légalisée dans un nombre croissant d’Etats américains.

Le cimetière des logiciels d’Etat

Il faut dire que la conduite de développements spécifiques est un exercice difficile. D’après le cabinet de conseil McKinsey, seuls 22 % d’entre eux atteignent leurs objectifs dans le public en respectant le calendrier visé, contre 30 % dans le privé. De nombreuses velléités de transformation butent sur les outils informatiques.

L’un des plus grands projets publics des dernières décennies est le système d’identification biométrique indien Aadhaar, qui a donné à près de 1,3 milliard de personnes, soit plus de 99 % de la population adulte du pays, un numéro individuel à 12 chiffres associé à des données biométriques. Il a été déployé par une association d’entrepreneurs locaux avant d’être récupéré par le gouvernement central. En France, de Louvois à Chorus en passant par Orbis ou l’Office national de paie (ONP), la liste des échecs des logiciels d’Etat est fameuse, la facture s’élevant en milliards d’euros.

Des politiques publiques entières sont à l’arrêt du fait d’outils inopérants. A compter du 1er janvier 2022, toutes les communes auraient dû recevoir les demandes d’autorisation d’urbanisme sous forme électronique, et celles de plus de 3 500 habitants auraient dû également assurer leur instruction par le même biais. Pour accompagner cette transformation d’ampleur, l’Etat devait déployer un vaste programme de dématérialisation de l’application du droit des sols, dit Démat. ADS. L’Etat n’a pas été capable de le mener à bien dans les temps. Désormais, il est quasi impossible de faire évoluer l’outil vers une instruction automatique.

La direction interministérielle du Numérique (Dinum) tient à jour un panorama des grands projets numériques de l’Etat, ceux qui dépassent 9 millions d’euros. Au dernier pointage, en juin dernier, le taux d’écart calendaire moyen était de 24 %, et le taux d’écart budgétaire moyen de 17 %. L’Etat a pourtant des capacités de suivi de projet infiniment supérieures à celles des collectivités territoriales ou des agences publiques.

L’investissement de Cox dans OpenGov, à un prix extraordinairement élevé pour une société faisant seulement 120 millions de dollars de chiffre d’affaires, ne s’explique pas autrement. Son fondateur, le démocrate James M. Cox, s’était présenté à la présidence en 1920 avec un certain Franklin Delano Roosevelt comme candidat à la vice-présidence. Mais les motivations du groupe sont bien plus larges qu’une passion familiale pour la chose publique.

Robin Rivaton est directeur général de Stonal et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)

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