Paris 2024 : comment les athlètes ukrainiens se préparent aux JO malgré l’horreur de la guerre

Paris 2024 : comment les athlètes ukrainiens se préparent aux JO malgré l’horreur de la guerre

L’écho du battement des flots résonne sous l’immense verrière de la piscine de Teremky, dans la banlieue de Kiev. Du haut du plongeoir de dix mètres flanqué du drapeau ukrainien, Oleksiy Sereda fait le vide. Inspiration, expiration. Il s’élance, quatre rotations carpées, puis fend l’eau chlorée avec grâce. Pour le jeune prodige du plongeon de 18 ans, en lice pour les Jeux olympiques 2024 de Paris, rester concentré sur ses figures pendant tout un entraînement relève de l’exploit, alors que son pays subit depuis plus de deux ans l’invasion de l’armée russe. A chaque instant, un missile ou un drone ennemi peut exploser sur la capitale.

Si les Ukrainiens respectent avec de moins en moins d’assiduité les alertes aériennes, l’équipe de plongeon ne prend pas de risques, sous une fragile verrière qui volerait en éclat au moindre impact. A chaque sirène, plusieurs fois par jour, Oleksiy doit donc interrompre son entraînement, courir aux abris et attendre que ça passe. Ainsi va le quotidien des athlètes ukrainiens, pour qui la trêve olympique, l’arrêt des conflits pendant la compétition demandée par une résolution de l’ONU, demeure un mythe grec. Ils n’oublient pas qu’en février 2022, Moscou avait lancé son attaque contre l’Ukraine entre les Jeux olympiques et paralympiques d’hiver en Chine.

“J’ai peur que ça tombe à nouveau chez nous”

Entre deux plongeons, Oleksiy jette régulièrement un œil sur son téléphone. Le plus jeune champion d’Europe de sa discipline suit les alertes aériennes à Mykolaïv, sa ville natale. Ses parents et sa sœur résident encore dans cette cité du sud de l’Ukraine, à 50 kilomètres de Kherson. Jusqu’à la libération de la capitale régionale en novembre 2022, Mykolaïv vivait sous le feu russe. Un obus est tombé sur la maison d’Oleksiy, endommageant le toit et le deuxième étage. “Mon père a presque fini de tout réparer mais encore aujourd’hui, même à l’entraînement, je m’inquiète d’abord pour eux, j’ai peur que ça tombe à nouveau chez nous,” souffle le jeune homme, qui tente de “faire de son mieux dans ces conditions”.

Tamara Tokmatchova, son entraîneuse, corrige les mouvements aériens du plongeur depuis le bord de la piscine ou dans la salle adjacente pleine de trampolines. “L’entraînement et le sommeil des athlètes sont constamment interrompus par les alertes et les bombardements. Non seulement la préparation, difficile à planifier, en souffre ; mais aussi leur état moral et psychologique”, regrette cette ancienne gymnaste de 61 ans, qui a fui Louhansk, dans le Donbass, en 2014. Sans compter que trois membres de l’équipe encadrante ont rejoint l’armée ukrainienne. A cela, s’ajoute le fait que les sportifs mettent plusieurs jours à se rendre aux compétitions à l’étranger, l’espace aérien étant fermé. Mais, pour Oleksiy, pas question de renoncer à son rêve. “Si je remporte une médaille olympique, en synchronisé ou en individuel, je rendrais un grand service à mon pays, parce que beaucoup de gens entendraient parler de l’Ukraine en bien”, développe le jeune homme, qui compte prouver qu’un sportif “peut gagner une médaille, même si son pays est en guerre”.

Plus de 350 infrastructures sportives détruites en Ukraine

Au début de l’invasion, quand les tanks russes se sont arrêtés aux abords de la capitale, l’équipe ukrainienne de plongeon s’est réfugiée en Allemagne pendant plusieurs mois, avant de rentrer au pays. Mais certains athlètes continuent de s’entraîner à l’étranger faute d’équipements. Stades, piscines, vélodromes, patinoires : au 1er octobre 2023, près de 351 infrastructures sportives ont été endommagées par la guerre, selon le ministère des Affaires étrangères, des destructions chiffrées à 228 millions d’euros. “Les athlètes ukrainiens ne peuvent pas concourir équitablement alors que la Russie détruit nos installations d’entraînement, s’est indigné le gouvernement ukrainien sur X. C’est pourquoi tous les athlètes russes doivent être bannis des Jeux olympiques.”

Le président Volodymyr Zelensky, et 30 autres pays occidentaux dont le Royaume-Uni et les Etats Unis, avaient appelé à leur disqualification complète après l’invasion. Mais en décembre 2023, après des mois d’atermoiements, le Comité olympique international (CIO) en a décidé autrement. Les Russes et les Biélorusses seront autorisés à concourir sous bannière neutre – sans drapeau, hymnes ni couleurs nationales –, sous réserve qu’ils n’aient pas activement soutenu l’invasion. Ils ne seront pas autorisés à participer à la cérémonie d’ouverture. Et aucun officiel des deux pays ne sera invité à Paris. Environ 36 Russes devraient participer à la quinzaine olympique, “selon le scénario le plus probable”, estime le CIO – contre 330 à Tokyo, en 2021. Tandis qu’une centaine d’athlètes ukrainiens sont attendus à Paris.

Si en plongeon, les Russes n’ont pas obtenu leur qualification pour les Jeux, en judo, les athlètes ukrainiens risquent de se retrouver face à leurs adversaires russes. “Même s’ils sont “neutres”, tout le monde sait qu’ils représentent la Russie”, grince la judoka Yelyzaveta Lytvynenko, depuis le centre d’entraînement olympique de Kontcha Zaspa, fondé sous l’URSS, en périphérie de la capitale, et que l’on rejoint après avoir franchi un check-point. “Ils ne devraient pas avoir le droit de se retrouver sur le tatami avec nous car ils s’entraînent dans de bonnes conditions, sans missiles qui volent au-dessus de leurs têtes, tout va bien pour eux, leurs familles sont en sécurité, pas comme les nôtres”, s’agace cette championne de 20 ans, en s’étirant. Il y a quelques mois, elle s’est retrouvée tout près d’un bombardement, à la gare routière de Dnipro, où elle réside. Ses parents, réfugiés en Pologne, vivaient dans un village situé sur la rive droite du Dniepr, régulièrement bombardée depuis la centrale nucléaire de Zaporijia, occupée par les Russes. Elizaveta y retourne de temps en temps pour vérifier que la maison familiale est encore entière.

“Une vraie fierté à représenter l’Ukraine”

“D’un côté, la guerre fatigue les athlètes, mais, en même temps, ils n’ont jamais été aussi motivés pour gagner”, positive Vitaliy Doubrova, son coach, alors qu’une soixantaine de judokas s’entraîne dans l’immense dojo du centre. “Le patriotisme n’était pas si important pour eux avant l’invasion, mais désormais ils ressentent une vraie fierté à représenter l’Ukraine. Plusieurs ont même cousu le drapeau ukrainien sur leurs kimonos”, précise le quadragénaire. Comme le reste des Ukrainiens, les athlètes ont été heurtés de plein fouet par la guerre. Certains ont perdu leurs maisons, d’autres ont vu leur ville natale occupée, d’autres encore sont partis sur le front. Et puis il y a tous ceux qui ne sont plus là : les plus de 400 sportifs ou coachs tués depuis le début de l’invasion, selon le ministère de la Jeunesse et des Sports.

Parmi eux, le nom de Stanislav Houlenkov, un habitué du dojo Kontcha Zaspa, est sur les lèvres de tous judokas. A 22 ans, le champion d’Europe chez les juniors a quitté les tatamis pour les tranchées le 24 février 2022. Pendant dix mois, Stanislav a été porté disparu après une mission près d’Avdiïvka, dans le Donbass, avant que son corps soit identifié il y a quelques semaines. “Il aurait pu s’entraîner ici comme moi, participer à des compétitions, aux JO peut-être, s’il n’y avait pas eu l’invasion russe”, souffle, ému, Bogdan Iadov, 27 ans, champion d’Europe 2022 en judo et favori dans sa catégorie pour Paris.

“La guerre ne s’arrête pas sur le champ de bataille, bien sûr que le sport est politique. Quand un pays en attaque un autre, ses athlètes deviennent des outils de propagande, même sous statut neutre”, s’emporte Vitaliy Doubrova. En 2008, le président de la Fédération internationale de judo, Marius Vizer, avait nommé un ami judoka comme président honoraire de l’organisme : un certain Vladimir Poutine. Le titre lui a été retiré en 2022, et Marius Vizer a démissionné. Mais les tensions sont plus vives que jamais : nul doute que les sportifs ukrainiens livreront sur les tatamis le combat de leur vie.

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