Paris 2024 pour raccommoder la société française ? La vérité sur le pouvoir “magique” des JO

Paris 2024 pour raccommoder la société française ? La vérité sur le pouvoir “magique” des JO

Février dernier, confidence d’un conseiller de l’Elysée à L’Express sur Emmanuel Macron et Paris 2024 : “Il veut faire de ces Jeux un moment unificateur, un antidote contre l’archipélisation”. Bigre ! Ambition monumentale et tellement nécessaire, que faire de ces seize jours une opportunité de réparer la société française, ressouder pour de bon ces bouts de pays éparpillés. “En haut de la pile, il faut d’urgence repenser les liens politiques et sociaux qui tissent le pays. Recréer les conditions pour faire nation, au sens où Ernest Renan l’entendait, en renouant avec ‘le désir de continuer à vivre ensemble'”, écrivions-nous le 26 avril 2022, devant la réélection de celui que nous avons nommé “le président de la dernière chance”, avant la tentation populiste.

A cent jours des Jeux olympiques, comment donc ne pas adhérer à cette volonté de raccommoder la France, dans un pays où les polémiques quotidiennes, parfois saines, artificiellement grossies jusqu’à la caricature le plus souvent, montrent l’étendue des fractures, politiques, économiques, identitaires ? L’excellente série La Fièvre reflète avec talent les névroses qui capturent le débat public depuis tant d’années, et notre incapacité collective à sortir de cette fascination pour les passions les plus virulentes. Hélas, les choses se passent rarement comme l’espère le président de la République. Il n’existe pas d’exemple d’un pays réparé par la grâce de soixante médailles olympiques. Il faut donc être extrêmement réaliste sur ce que peuvent et ne peuvent pas produire les JO.

Tourisme, diplomatie, émotion

Les Jeux olympiques peuvent beaucoup. Si la cérémonie d’ouverture se tient bien sur la Seine, si elle est réussie, si les autorités parviennent à assurer la sécurité de l’évènement, la France en tirera des bénéfices. Nous donnerons l’image d’un pays moderne, audacieux, un pays qui sait réussir. La diplomatie en profitera, le tourisme en profitera, un petit surcroît de croissance est d’ailleurs à attendre dès 2024, selon le cabinet Astérès, qui chiffre la valeur ajoutée liée à l’organisation des JO à 0,4 % du PIB. Si l’évènement permet aussi d’ancrer durablement la pratique du sport dans la jeunesse française, il faudra encore s’en féliciter.

Sur un plan personnel, Emmanuel Macron, Anne Hidalgo et Gérald Darmanin en bénéficieront, tous à leur niveau. Le chef de l’Etat, en particulier, pourra revendiquer une réussite conforme au souvenir qu’il aimerait laisser de son mandat politique, celui d’un dirigeant plein de culot et de suite dans les idées, tourné vers l’avenir.

Traumatismes féconds

Notre fierté nationale sera flattée. Le sport a ce pouvoir de générer des élans de patriotisme – de chauvinisme, diront les détracteurs – depuis longtemps disparus des pays en paix. Sous condition de quelques exploits, nous terminerons l’été dans une douce euphorie, en pensant à la fois aux héros sportifs et à ce tour de force qu’aura été l’organisation d’un tel évènement. Les perdants magnifiques nous donneront des émotions impérissables, ces traumatismes féconds que les artistes subliment dans des œuvres, il faut lire Séville 82, de Pierre-Louis Basse ou Un printemps 76, de Vincent Duluc, roman sur l’épopée européenne malheureuse de l’AS Saint-Etienne. “Saint-Étienne avait les Verts, la ville avait cette fièvre, un pays venu prendre son pouls, et sous ses yeux la classe ouvrière mourait en chantant ‘Qui c’est les plus forts ?'”, écrit Duluc, éditorialiste à L’Équipe. Le sport et la politique entremêlés, là aussi.

Mais le sport ne peut pas tout. Les grandes compétitions n’ont jamais influé durablement sur l’état d’esprit d’une population, ni fait refluer des pulsions de radicalité. L’épiphanie “black-blanc-beur” post-coupe du monde 1998 n’a pas empêché l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, le 21 avril 2002.

JO puis Brexit

Deux exemples récents montrent à quel point les Jeux olympiques ne jouent pas forcément ce rôle fantasmé de “moment réconciliateur” de la nation. Londres 2012 a été une réussite incontestable, évènementielle et sportive, avec 65 médailles britanniques. Quatre ans plus tard, la société anglaise se déchirait, une députée travailliste, Jo Cox, était abattue par un militant d’extrême-droite et, le 26 juin 2016, le peuple britannique votait pour le Brexit à 51,89 %. Seul fil rouge, la star politique des JO, le maire de Londres d’alors, Boris Johnson, deviendra la star du camp des “Brexiters”. Au Brésil non plus, les JO de Rio, en 2016, n’ont pas recousu une société toujours plus éclatée, fracturée par des scandales de corruption à répétition. Le 28 octobre 2018, Jair Bolsonaro, le candidat de l’extrême-droite a été élu président du Brésil.

A l’inverse, on se rappelle à quel point la compétition de Séoul, en 1988, accompagna le renouveau démocratique et économique de la Corée du Sud. De la même façon, Pékin 2008 a ponctué l’entrée de la Chine parmi les très grandes puissances diplomatiques. Mais à chaque fois, les Jeux olympiques parachèvent et symbolisent un phénomène qui existe indépendamment, ils ne le créent pas.

Avis donc à la présidence française : il semblerait que le sport possède beaucoup de vertus, mais pas ce pouvoir d’influer significativement sur des crises profondes. “Il compte faire de ces Jeux l’été dont on se souvient”, décrivait plus modestement, en février, un autre conseiller de l’Elysée. Donner aux passionnés un été mémorable : ambition plus humble, mais pas moins importante pour qui prétend “changer la vie” de ses concitoyens, ou du moins leur donner, le temps d’une quinzaine, un supplément de plaisir intense.

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