Pétrole : “Si l’Iran bloquait le détroit d’Ormuz, il y aurait la guerre après-demain”

Pétrole : “Si l’Iran bloquait le détroit d’Ormuz, il y aurait la guerre après-demain”

Les marchés pétroliers ont tremblé, mais n’ont pas cédé. Alors que tous les yeux étaient rivés sur le Moyen-Orient dans la nuit du 14 avril, lors de l’attaque menée par l’Iran contre Israël, les analystes craignaient que les cours de l’or noir ne s’envolent à la reprise des marchés lundi 15 avril. Il n’en fut rien et le baril de Brent de mer du Nord – référence en Europe – est même repassé sous la barre des 90 dollars.

Ces dernières semaines, les cours du pétrole avaient pourtant connu un net rebond en raison des tensions géopolitiques et de divers facteurs, certains investisseurs craignant même que la barre des 100 dollars ne soit de nouveau franchie pour la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine. Francis Perrin, directeur de recherche et professeur à l’Institut de relations internationales et stratégiques, spécialiste des questions énergétiques, analyse les répercussions de la crise israélo-iranienne, la stratégie de l’Opep + et l’hypothèse d’un blocage du détroit d’Ormuz par Téhéran.

Quelles pourraient être les conséquences de l’attaque de l’Iran sur les cours du pétrole ?

La question est justement de savoir si ce qu’il s’est passé ce week-end va déboucher sur une escalade ou si, comme le disent les responsables iraniens, le dossier est “clos”. Ces deux scénarios géopolitiques complètement opposés auront des conséquences pétrolières très différentes. L’offensive s’est déroulée ce week-end lorsque les marchés étaient fermés.

Pour l’instant, c’est le calme. Les prix du pétrole n’ont pas fait un bond par rapport à leur niveau de vendredi soir et ont même légèrement baissé. Si elle avait eu lieu en semaine, ils auraient immédiatement augmenté. Les marchés sont actuellement dans l’attente. Si une riposte israélienne devait se concrétiser, cela aurait un impact haussier. On ignore encore si l’on est entré dans un cycle d’attaques-représailles, dans une région fondamentale qui concentre à peu près la moitié des réserves prouvées de pétrole dans le monde.

Peut-on dire que jusqu’à présent, l’impact des tensions au Moyen-Orient, que ce soit le conflit israélo-palestinien ou les attaques de Houthis, avait été limité ?

Il y avait eu un effet haussier, mais limité. Cela a été un facteur qui, lors des dernières semaines avant ce week-end, soutenait les prix du pétrole à un niveau plutôt élevé, avec un Brent autour de 90 dollars par baril. Après l’attaque israélienne sur le consulat iranien à Damas le 1er avril, les marchés attendaient une possible riposte annoncée par les renseignements américains. La dynamique reste haussière, mais pas de façon spectaculaire. Les marchés pétroliers savent bien, comme tous ceux qui suivent la géopolitique mondiale, que les négociations entre Israël et les Etats-Unis seront déterminantes. La question pour les dirigeants israéliens – qui spontanément voudraient frapper – est de savoir s’ils vont répliquer ou non. Quelle serait l’ampleur d’une éventuelle riposte ? Comme personne n’en sait rien, les marchés pétroliers sont dans l’expectative, tout comme le monde entier.

Une possible flambée pourrait-elle faire repartir l’inflation ?

Le prix du pétrole est très important dans le système économique mondial. Il y a les impacts directs, avec le carburant et le plastique, et les effets indirects, le transport de marchandises étant largement dominé par les carburants pétroliers. Si l’on passe de 90 à 91 dollars par baril pour le Brent, ce n’est pas ça qui va relancer l’inflation. En revanche, une flambée du prix du pétrole serait un facteur inflationniste majeur.

Pour quelles autres raisons les cours de l’or noir ont-ils augmenté ces dernières semaines ?

Au début de la guerre en Ukraine, il y a deux ans, le prix du pétrole avait frôlé, dès le 7 mars, les 140 dollars. Ces dernières semaines, on n’a pas constaté de bonds énormes. Outre les facteurs géopolitiques, avec le Moyen-Orient et l’Ukraine, où des attaques de drones contre des raffineries en Russie ont eu lieu, l’état du marché pétrolier explique en partie cette hausse récente.

Depuis des mois, l’Opep +, composée de 22 pays pétroliers, met en place des restrictions de production. Cela a commencé à l’automne 2022. Lors de leur plus récente réunion ministérielle, qui remonte à la fin novembre 2023, ils ont décidé de serrer encore un peu plus le robinet pour le premier trimestre 2024. Début mars, ils ont prolongé ces réductions sur le deuxième trimestre. Certains pensent qu’ils pourraient annoncer en juin une nouvelle prolongation des restrictions, ce qui alimente actuellement les anticipations. En 2023, le monde n’a jamais consommé autant de pétrole. On sait d’ores et déjà que ce record sera battu cette année. La situation est tendue, mais l’on ne peut pas parler de pénurie de pétrole.

Qu’est-ce que cela dit de la stratégie de l’Opep + ?

Les 22 pays ont un seul point commun et cela suffit pour se retrouver autour d’une table pour prendre des décisions : ils sont tous très dépendants du pétrole. Logiquement, un prix du pétrole à 90 dollars plutôt qu’à 60 dollars profite à leurs recettes d’exportation. Il ne s’agit pas d’un raisonnement géopolitique, car ils ne prennent pas parti contre l’Occident. Il ne faut pas non plus que le prix du brut soit trop élevé au risque d’entraîner une baisse de la consommation mondiale de pétrole, voire une récession économique mondiale. Les dirigeants de l’Opep + sont des gens intelligents et voient plus loin que le bout de leur nez. Les prix actuels sont jugés très intéressants et cela ne met pas l’économie mondiale à terre.

Au vu du contexte géopolitique, poursuivre les restrictions de production sachant que les prix pourraient fortement grimper est-il risqué ?

Les pays de l’Opep + suivent le marché pétrolier toutes les heures et ce n’est pas une exagération. S’ils avaient l’impression que les choses pouvaient s’emballer, ils feraient leur devoir et suivraient leurs intérêts pour conserver un marché maîtrisable et équilibré. Ils ne veulent pas d’une pénurie de pétrole et pourraient très bien être amenés à augmenter leur production s’ils avaient l’impression que le marché échappait à tout contrôle.

En cas d’escalade entre Israël et l’Iran, l’approvisionnement en provenance de la région pourrait-il être perturbé ? On pense notamment au détroit d’Ormuz…

Il faut toujours être vigilant parce que l’on parle de pétrole. C’est l’énergie la plus consommée dans le monde et dont personne ne peut se passer rapidement et massivement. Elle est ultra-stratégique. La question du détroit d’Ormuz est capitale : il s’agit de la principale artère du commerce pétrolier mondial. Objectivement, l’Iran n’a pas intérêt à le bloquer et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce que si le pays prenait cette décision, il y aurait la guerre après-demain, c’est aussi simple que cela. Bloquer le détroit d’Ormuz serait un acte de guerre. On ne se contentera pas de saisir le Conseil de sécurité des Nations unies, la réplique sera militaire. L’Iran ne gagnerait pas un tel conflit. Ses dirigeants ne sont pas fous. Ils veulent parfois nous donner l’impression qu’ils le sont, mais ils raisonnent de façon très froide.

En outre, si Téhéran bloquait le détroit d’Ormuz, l’Iran ne pourrait plus exporter son propre pétrole pourtant fondamental pour son économie, déjà guère brillante. Enfin, cela entraverait les approvisionnements pétroliers vers le reste du monde et notamment les pays asiatiques, dont la Chine. Or, l’Iran entretient des relations étroites avec Pékin, qui importe du pétrole iranien. Il n’y a pas beaucoup de pays dans le monde qui lui en achètent, de peur des sanctions américaines. Le scénario d’un blocage du détroit d’Ormuz ne serait envisageable que si l’Iran estimait que le régime était vraiment en danger. En géopolitique, il faut toujours distinguer la rhétorique et la réalité. Il y a un fossé très grand entre les deux.

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