Photographie : les gueules noires d’Ukraine

Photographie : les gueules noires d’Ukraine

Dans le Donbass, qui abrite le plus important bassin houiller d’Ukraine avec 90 % des réserves de charbon du pays répartis sur 60 000 kilomètres carrés, la ville de Vouhledar, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Donetsk, renferme la mine de Pivdennodonbaska, exploitée depuis 1964. C’est ici que Youry Bilak a photographié les gueules noires du site en 2005 et qu’il les a à nouveau immortalisées sept ans plus tard dans leur labeur quotidien. De ces reportages restent des images fortes et autant d’histoires humaines singulières que le Centre historique minier de Lewarde, dans les Hauts-de-France, a choisi de relayer. Jusqu’au 22 septembre, plusieurs dizaines de clichés y sont exposés pour rendre hommage au courage de ces ouvriers souterrains dans un territoire de longue tradition minière, désormais meurtri par la guerre.

Youry Bilak, dont les parents ukrainiens se sont réfugiés en France après la Seconde Guerre mondiale, a été biberonné aux valeurs familiales d’origine autant qu’à la photographie, passion de son père. En 2004, il part à la rencontre de ses ancêtres, dans les Carpates, où vivent les Houtsoules, minorité dont est issue sa famille, puis dans les mines de charbon, avec toujours “le même angle d’attaque : la personne, son vécu, sa culture”. Inspiré par la peinture naturaliste flamande des XIVe et XVe siècles, celle d’un Rembrandt ou d’un Van Dyck, et par les clair-obscur de Georges de La Tour au XVIIe siècle, Bilak partage avec eux “une certaine culture de la lumière”, qu’il travaille dans son studio mais aussi au cours de ses tribulations sur le terrain. Ainsi, sous terre, quand, souvent, l’unique source lumineuse émane de la lampe frontale des charbonniers, celle-ci devient-elle le vecteur d’expression d’une figure isolée.

Youry Bilak, “Portrait de Hennadiy, mineur de Vouhledar”. Bassin minier du Donbass, 2012.

Hennadiy, avec lequel Youry Bilak a noué un lien fort, pourrait à lui seul incarner le destin de ces travailleurs de l’ombre qui ont basculé, du jour au lendemain, dans l’horreur. Le quinquagénaire a longtemps officié dans la mine Pivdennodonbaska n° 1, à Vouhledar, par cycle de 4/4 (trois jours de travail, un jour de repos), six heures par jour. Il habite encore avec son épouse, institutrice, dans le petit village de Mykilske, à une dizaine de kilomètres, quand, le 24 février 2022, premier jour de guerre, Vouhledar est bombardée. Le 12 mars, la maison d’Hennadiy est trouée par des éclats d’obus. Le 15, les soldats russes entrent dans Mykilske. Vandalisme, alertes, tirs… Le quotidien des habitants se mue en enfer. De traques en caches, Hennadiy et sa famille réussissent, au prix d’un long périple, à fuir la zone de combat et à rejoindre Lviv, à l’ouest du pays. Ils vivent dorénavant dans le bassin minier de Lviv-Volhynie, près de Novovolynsk. Youry Bilak s’était déjà rendu sur les lieux en 2006 pour y poursuivre son reportage sur les gueules noires, ces “héros qui œuvrent, au péril de leur vie, dans des cavités à moins de 80 cm de hauteur”.

Au-delà des récits individuels, les clichés de Bilak ont le mérite de montrer au grand jour l’actualité minière en Ukraine. Une réalité méconnue en Europe. Dans ce pays, plus de 150 mines extrayaient du charbon avant l’invasion russe. Et si leur nombre s’est réduit, des hommes continuent aujourd’hui d’y descendre, comme on le faisait il y a cinquante ans à Lewarde.

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