Photographie : les paysages mélancoliques de Kate Barry

Photographie : les paysages mélancoliques de Kate Barry

D’elle, on connaît surtout les portraits qu’elle a réalisés à l’ombre des stars du cinéma, de la musique ou de la mode, à commencer par les membres de sa famille : sa mère Jane Birkin, ses sœurs Charlotte Gainsbourg et Lou Doillon. Dix ans après sa mort tragique en 2013, à l’âge de 46 ans, la plus discrète du célèbre clan, déjà au cœur d’une importante rétrospective au musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône cet été, est aujourd’hui à l’affiche de Quai de la Photo, à Paris, qui expose, en deux chapitres distincts, 80 clichés signés Kate Barry. Une exposition présentée sous l’intitulé My Own Space, que le commissaire Sylvain Besson, par ailleurs auteur d’un ouvrage du même nom (La Martinière, 2023), éclaire en invoquant “la diversité insoupçonnée de son œuvre”.

Pour Kate, photographiée enfant jusqu’à plus soif au cours des années Birkin-Gainsbourg, l’image n’a pas été une évidence. Elle est d’abord styliste, puis, touchée dans son parcours personnel par le fléau de la drogue, s’engage au long cours pour la prévention des toxicodépendances, avant d’entamer ses premières recherches photographiques dans la péninsule bretonne en 1995. Suivent nombre de collaborations avec l’industrie musicale (France Gall, Raphaël, Françoise Hardy…) et de reportages pour la presse féminine hexagonale et anglo-saxonne. Elle y surprend Laetitia (Casta), Sophie (Marceau) ou Isabelle (Huppert) dans des poses improbables d’abandon. “Elle aimait créer des situations contraintes et empêchées, et attraper dans son objectif ce petit inconfort”, se souvient la seconde. On soulignera également l’omniprésence de la chaise, vide ou occupée, accessoire fétiche de sa création.

Autoportrait pour “Elle”, 2001.

Dès 2002, Kate Barry ose un autre genre : le paysage. Les siens sont autant d’espaces désaffectés, empreints de désenchantement et de poésie, voire d’oppression, où elle exprime, avance Sylvain Besson, “la vacuité des entreprises humaines et la résistance de la nature”. Pour les proches de l’artiste, ses sœurs mais aussi son fils unique Roman de Kermadec, ces compositions paysagères, habitées par ses vides et ses fragilités, constituent son “vrai” travail photographique. De fait, les clichés semblent coller, tout en délicatesse, aux obsessions introspectives de Kate Barry. Les images d’Essai d’autobiographie immobilière, ouvrage réalisé avec l’écrivain Jean Rolin en 2012, illustrent à merveille, à travers une balade topographique dans la ville de Dinard, cette quête aussi pudique que mélancolique. La villégiature brétillienne apparaît là humide et silencieuse, comme désertée de ses habitants.

De la même façon, dans sa série Mauvaises Herbes, où elle se cadre en robe rouge, parfois sans visage, elle saisit ce qu’on ne regarde pas, ainsi ces vilaines racines surgies du bitume. “A quel point la vie est tenace, ça devient des personnages habités”, écrira-t-elle.

Kate Barry, “Dinard”, 2011-2012.

Autre facette méconnue de l’artiste, même si elle fit date en son temps : la commande réalisée pour les 40 ans de Rungis en 2009, avec les immenses portraits en pied des employés anonymes de l’emblématique marché, peu habitués à la lumière. Gens cachés, lieux “indécis”, même combat. Les sites en marge que Kate Barry a photographiés en Bretagne, mais aussi en Normandie ou au fil de ses voyages en Israël et en Jordanie, restent le contrepoint nécessaire aux figures humaines pour, disait-elle, “perdre mes repères, perdre ce regard croisé, ce regard reconnaissant”.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *