Pierre Weill : “Le modèle Bleu-Blanc-Coeur est l’une des portes de sortie à la crise agricole”

Pierre Weill : “Le modèle Bleu-Blanc-Coeur est l’une des portes de sortie à la crise agricole”

C’est peut-être l’une des pistes pour répondre au malaise agricole. Depuis 20 ans, l’association Bleu-Blanc-Coeur réussit le pari de contenter paysans, distributeurs et consommateurs. Les bonnes pratiques qu’elle promeut permettent de réduire les émissions de CO2 et d’améliorer la santé sans étouffer les producteurs. Par quel miracle ? Pierre Weill, fondateur de l’association, expose sa méthode.

Bleu-Blanc-Coeur fédère aujourd’hui 7 000 paysans et 30 000 consommateurs. Elle réussit l’exploit de lutter pour l’environnement sans mettre en danger les paysans sur le plan financier. Comment avez-vous réussi ce tour de force ?

Cela fait 20 ans que l’on y travaille ! L’essor de notre association montre qu’il existe des portes de sortie à la crise actuelle. Lorsqu’ils s’engagent avec nous, les agriculteurs doivent respecter un certain nombre de règles, que nous avons établies avec eux : interdiction de l’emploi d’huile de palme pour nourrir les animaux d’élevage, limitation progressive sur le tourteau de soja d’importation au profit des légumineuses cultivées sur le territoire nécessitant peu de produits phytosanitaires… Le surcoût ne doit pas dépasser 5 % du chiffre d’affaires. C’est la limite que l’on s’est fixée. Cela peut paraître beaucoup. En réalité, le consommateur peut absorber ce surplus, ce qui permet de massifier les bonnes pratiques. Pour mieux comprendre, je vous donne un exemple : si une ferme produit 100 000 œufs par an et qu’elle fait de la super qualité, elle ne vendra peut-être que 10 000 œufs en raison d’un tarif bien trop élevé. Elle se retrouvera donc avec des stocks d’invendus et des surcoûts logistiques. A contrario, si le surcoût et le prix restent mesurés, tous les oeufs seront vendus, ce qui permettra de rémunérer correctement le producteur. C’est ce modèle que nous essayons de mettre en pratique. Sans accessibilité, pas d’impact !

Bleu-Blanc-Coeur utilise également la science pour vérifier son efficacité. Pourquoi ?

Parce qu’il nous faut une boussole, une direction claire, que la science peut nous donner. Nous avons réalisé sept études cliniques et mis en place quelque chose qui n’existe pas ailleurs : une obligation de résultat pour les paysans qui font partie de l’association. Trois fois par mois, par exemple, le lait de nos producteurs est analysé par un laboratoire interprofessionnel. Nous recevons les résultats et nous vérifions leur conformité avec les normes Bleu-Blanc-Coeur : un maximum d’acides gras saturés, un minimum d’oméga 3, etc. Les études scientifiques nous permettent aussi de montrer qu’un poulet Bleu-Blanc-Coeur génère 1,94 kilo de CO2 par kilo, contre 2,57 kilo pour une volaille issue de l’élevage conventionnel.

Tout ce travail de mesure et de vérification est vital. Si nous voulons un bénéfice pour la santé, il doit être mesurable. Aujourd’hui, quand je lis le profil d’acide gras d’un lait, je sais ce qu’a mangé la vache, ce qu’a fait le paysan, si ça va être bon ou pas. Nous avons aussi développé le même genre d’outil pour les tomates. Un producteur ne peut plus tricher. Et surtout, il n’y a plus besoin de multiplier les normes, ou d’empiler les interdictions pour avoir un bon produit. Il suffit de les analyser ! L’exact inverse de ce qui se passe aujourd’hui puisque les agriculteurs ploient sous les contraintes administratives et les injonctions de Bruxelles.

Qui finance vos travaux scientifiques et où peut-on trouver vos produits ?

Tous les distributeurs ne jouent pas le jeu. Certains communiquent encore sur les 1 % de leurs produits premium en circuit court, tout en faisant un low cost infernal sur le reste. D’autres, en revanche, accueillent nos produits. Chez Super U, quatrième distributeur français, tous les œufs, les poulets, le cochon et le lait sont estampillés Bleu-Blanc-Coeur. Pour nos recherches, nous bénéficions d’un financement important de l’Etat. Mais paradoxalement, celui-ci nous bride dans notre communication. Nous n’avons pas le droit de publier sur notre site internet les résultats de nos études cliniques, publiées pourtant dans la presse scientifique. Nous cochons toutes les cases : meilleure autonomie protéique, bénéfices pour le climat, revenus décents pour les producteurs, meilleure santé publique… Et tout cela a été mesuré avec précision. L’an dernier, nous avons réussi à augmenter nos ventes de 14 % au cours du premier semestre. Notre notoriété continue donc de progresser. Cependant, le jour où nous pourrons vraiment communiquer sur nos résultats scientifiques, nous passerons à la vitesse supérieure. C’est en tout cas mon espoir. Même si la situation est difficile, il est encore possible de trouver des solutions !

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