Pornographie en ligne : comment protéger efficacement les mineurs

Pornographie en ligne : comment protéger efficacement les mineurs

Les contenus pornographiques en ligne sont réservés aux adultes… du moins en théorie. En réalité, on ne peut ignorer que les mineurs y ont accès, intentionnellement ou non. Face à cette réalité, il devient essentiel de saisir les implications de cette exposition généralisée, d’instaurer des réglementations et de mettre en place des mesures préventives pour préserver la santé et le bien-être des enfants et des adolescents.

Pour les mineurs, la première exposition à des contenus pornographiques se produit principalement de manière involontaire. Selon une enquête menée par CommensMedia en 2022 auprès de 1 358 adolescents américains âgés de 13 à 17 ans, plus de la moitié (58 %) a été exposée à sa première image ou vidéo pornographique en ligne de manière accidentelle. La consultation de ces contenus peut aussi devenir volontaire et habituelle chez certains adolescents, comme le montre une enquête de l’ARCOM de mai 2023, menée auprès d’un échantillon de 25 000 individus français. Ces travaux révèlent notamment que plus de la moitié des garçons de 12 ans et 65 % des jeunes hommes de 16-17 ans visitent chaque mois des sites pornographiques.

Une évaluation complexe des impacts sur les comportements sociosexuels

Mais quel impact le visionnage de ces contenus a-t-il chez les jeunes ? De nombreuses recherches en psychologie tentent de répondre à cette question. Des chercheurs ont par exemple analysé les scripts pornographiques, afin de déterminer si les contenus peuvent avoir un impact sur plusieurs dimensions sociosexuelles.

En ce qui concerne les comportements sexuels agressifs, une récente synthèse de la littérature analyse ainsi les données de 27 études qui portent, en tout, sur 16 200 mineurs âgés de 4 à 18 ans. Ces travaux visaient à évaluer le lien entre l’exposition aux contenus sexuels et l’apparition de comportements sexuels inadaptés correspondant à des préoccupations sexuelles envahissantes, comme poser des questions insistantes et répétées à propos du sexe ; ou à des comportements d’agression et de coercition sexuelle, comme du harcèlement sexuel ou se toucher les parties intimes en public. Les chercheurs concluent que les enfants et les adolescents exposés à des contenus pornographiques non violents ont 1,5 fois plus de chances de s’engager dans des comportements sexuels inadaptés que ceux qui ne sont pas exposés. Et lorsqu’ils sont exposés à des contenus violents, ils ont cette fois 2,5 fois plus de chance de s’engager dans ces comportements comparativement à ceux qui n’y ont pas été exposés.

Concernant les stéréotypes de genre, quelques études montrent un lien entre la consommation de contenus pornographique et l’objectification sexuelle des femmes, c’est-à-dire le mécanisme qui consiste à réduire la femme au statut d’objet et en particulier à ses caractéristiques sexuelles. Or les attitudes d’objectification chez les individus ont été identifiées comme un des précurseurs de violences sexistes et sexuelles, comme l’indique une étude américaine de 2020. Quant aux autres comportements sociosexuels, une revue de la littérature indique que la consommation de pornographie chez les adolescents est associée de manière modérée à une plus grande probabilité d’avoir des rapports sexuels non protégés et à une plus grande probabilité de multiplier les partenaires sexuels de courte durée. En revanche, le visionnage de contenus sexuels ne semble pas être associé à une satisfaction corporelle de moindre qualité, c’est-à-dire à une insatisfaction liée à l’apparence physique ou à la taille des organes génitaux, une critique fréquemment associée au visionnage de pornographie.

Les jeunes imitent-ils les scripts sexuels du porno ?

Reste que la mise en évidence d’un impact délétère de la pornographie sur les comportements sociosexuels des jeunes se révèle complexe, en particulier chez les adolescents. Le fait de s’inscrire dans les théories de l’apprentissage social en arguant que les adolescents absorbent et imitent les scripts sexuels du porno est séduisant, mais cela simplifie complètement les comportements sociosexuels des jeunes. En outre, une grande majorité des études évaluent des associations qui ne permettent aucunement de déterminer dans quelle mesure le visionnage pornographique chez les adolescents induit des comportements sociosexuels spécifiques. Il pourrait être possible que ce soient, au contraire, les comportements sociosexuels qui déterminent le choix de visionnage, ou même que ces deux attitudes s’influencent mutuellement. Sans compter que les comportements sociosexuels des adolescents peuvent être influencés par beaucoup d’autres variables, comme les normes sexuelles ou encore l’adhésion aux principes d’une religion.

Actuellement, il n’existe pas de consensus au sein de la communauté scientifique sur l’addiction à la pornographie. Ce trouble n’est d’ailleurs pas répertorié dans les classifications des maladies telles que le DSM5 ou la CIM11. Bien que la souffrance des personnes confrontées à une consommation compulsive et excessive de pornographie soit reconnue, les chercheurs préfèrent actuellement considérer cette utilisation problématique comme une composante d’un trouble compulsif du comportement sexuel, qui est d’ailleurs intégré dans la CIM11. Pourtant, la notion d’addiction à la pornographie est très largement utilisée dans les médias. Une publication scientifique publiée en février 2024 apporte un éclairage intéressant en suggérant que le récit de l’addiction à la pornographie est utilisé par les adultes comme un moyen d’exercer un contrôle social sur la sexualité des jeunes, ainsi que sur les normes entourant le sexe et la reproduction en général.

Protéger les mineurs tout en préservant les libertés individuelles

Lorsque l’on se penche sur le contrôle de la pornographie, les questions de moralité entrent en conflit avec la réalité. Bien sûr, les adultes aimeraient empêcher que les mineurs soient exposés involontairement ou volontairement à des contenus pornographiques. Un des moyens pour les protéger est d’imposer une vérification de l’âge en ligne visant à restreindre l’accès à certains contenus. Cette démarche s’articule autour de plusieurs solutions, chacune avec ses avantages et inconvénients. L’une des méthodes les plus directes est l’authentification explicite, qui requiert que l’utilisateur prouve son âge par des moyens souvent intrusifs, comme le scan de documents d’identité ou l’utilisation de la biométrie. Cette solution soulève de nombreuses préoccupations en termes de liberté individuelle. En effet, la collecte et le stockage de données sensibles présentent un risque de chantage ou d’intrusion dans la vie privée des individus, sans compter la menace constante de fuites de données.

Une autre voie explorée est celle des tiers de confiance. Le principe est relativement simple : au lieu de fournir directement ses informations personnelles au site demandeur, l’utilisateur prouve son âge via un service intermédiaire qui atteste uniquement de la véracité de l’information d’âge, sans partager d’autres données. Ce système repose sur la confiance en ces entités, qui doivent être rigoureusement sélectionnées et réglementées pour garantir leur fiabilité. Mais peut-on entièrement se fier à ces intermédiaires, tant pour ne pas laisser passer des mineurs que pour veiller sur notre sécurité ? Face à ces enjeux, la Commission nationale de l’informatique et des libertés et le Pôle d’expertise de la régulation numérique ont proposé une preuve de concept pour réduire ce besoin de confiance dans les tiers, en minimisant les informations auxquelles ils accèdent.

Protection des mineurs face à la pornographie : dépasser le techno-solutionnisme

La vérification de l’âge en ligne est un sujet complexe qui requiert une attention particulière aux droits et libertés individuels. Si la protection des mineurs demeure une priorité, il est impératif de choisir des solutions technologiques équilibrées, sécurisées et respectueuses de la vie privée. Un filtre parfait n’existe pas, toute solution technologique freinera des utilisateurs légitimes et en mettra en danger d’autres. Le techno-solutionnisme est loin d’être LA solution à ce problème. D’autant que les contenus pornographiques ne sont pas uniquement présents sur les sites pour adultes comme Pornhub ou Xvideos.

Par exemple, dans l’univers de Roblox, certains jeux appelés “condos” permettent la création de mises en scène pornographiques avec des avatars. Sur Discord, des salons sont spécifiquement dédiés aux contenus pornographiques. Sur ces plateformes, la vérification de l’âge apparaît compliquée, d’autant que les mineurs ont déjà largement investi ces espaces. Il apparaît alors nécessaire de coupler ces solutions de vérification avec de la prévention. Plusieurs recherches tentent d’évaluer l’efficacité des interventions de prévention à l’exposition aux contenus, adaptées à l’âge des élèves. Cette démarche qui s’apparente à une éducation aux médias donnerait les moyens aux mineurs de se protéger, d’appréhender cette forme de contenus médiatiques avec une vision critique et de comprendre les représentations erronées de la réalité véhiculées dans ces médias.

* Séverine Erhel est maître de conférences en psychologie cognitive et ergonomie à l’université Rennes II, Olivier Blazy est professeur en cybersécurité à l’École Polytechnique.

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