Pourquoi Georges Pompidou était un écologiste visionnaire, par Jérémie Gallon

Pourquoi Georges Pompidou était un écologiste visionnaire, par Jérémie Gallon

Il peut sembler surprenant d’associer le terme “écologie” à Georges Pompidou. A une époque où ce mot ne faisait pas encore partie du vocabulaire usuel, le natif de Montboudif était d’abord connu pour sa passion de l’automobile. A peine nommé Premier ministre, n’était-il pas arrivé en Porsche 356 dans la cour de Matignon ? En 1967, n’est-ce pas lui qui inaugurait la voie express de la rive droite de la Seine et apportait un soutien sans faille au projet du boulevard périphérique de Paris ? Surtout, le successeur du général de Gaulle avait un objectif qui dominait tous les autres, une ambition en apparence inconciliable avec la protection de l’environnement : “Faire de la France une grande nation industrielle”.

En ce domaine comme en tant d’autres, la pensée et l’action de Georges Pompidou ne peuvent cependant pas être réduites à des catégories préétablies. Lors de ses longues marches d’enfant sur les plateaux de la Haute-Auvergne, il avait appris à aimer la nature et les paysages qui façonnent la France. Tel le personnage de Morel dans Les Racines du ciel, ce roman de Romain Gary qui résonna tant en lui, il avait compris que ce que l’on n’appelait pas encore “l’écologie” est d’abord un combat pour sauver la beauté du monde. Il n’ignorait pas que, depuis trop d’années, des pollutions étaient tolérées, des nuisances acceptées et des sites naturels ravagés sur l’autel de la modernité. Surtout, il savait le lien étroit qui existe entre le respect qu’a l’homme de lui-même et la qualité de son cadre de vie.

Dès son accession à l’Elysée, il plaça donc la question environnementale au cœur de son action. Le 28 février 1970 à Chicago, cette “ville des vents” qui, par son architecture avant-gardiste et la place qu’elle accorde à l’automobile, incarne autant la modernité dans ce qu’elle a de plus fascinant que les ravages de la civilisation urbaine, il appela à la création d’”une morale de l’environnement”. Deux ans avant la publication du rapport Meadows, Les Limites à la croissance, il fut le premier chef d’Etat occidental à souligner que “l’emprise de l’homme sur la nature est devenue telle qu’elle comporte le risque de destruction de la nature elle-même”.

Mais il ne s’arrêta pas là. Pompidou, qui savait que la crédibilité du responsable politique réside dans sa capacité à traduire ses paroles en actes, a mis en œuvre des mesures telles que la première réglementation sur les cheminées industrielles, la naissance des “classes vertes”, la création du Parc national des Cévennes ou la préparation d’une loi-cadre contre le bruit. Puis, le 7 janvier 1971, il s’inspira de l’exemple britannique pour créer, pour la première fois en France, un ministère de l’Environnement. Il le confia à un jeune normalien aussi talentueux qu’enthousiaste, Robert Poujade. Malgré les sarcasmes de Valéry Giscard d’Estaing qui, puissant ministre des Finances, lui lança, “c’est intéressant votre ministère, il ne devrait rien coûter à l’Etat”, Poujade bénéficia du soutien inconditionnel du président de la République.

Le maire de Dijon en eut d’autant plus besoin qu’étaient en germe bien des difficultés auxquels nos gouvernants actuels sont confrontés. Cinquante ans avant les excès de colère qui accompagnent toute velléité de fiscalité écologique, la question de l’acceptabilité sociale des politiques environnementales était déjà posée. Comme le notait avec lucidité Georges Pompidou, “le problème est de faire en sorte que le bon environnement soit compatible avec le progrès”.

Il est un domaine en particulier dans lequel il veilla à ce que ce soit le cas, l’agriculture. Rejetant toute vision passéiste en la matière, l’ancien député du Cantal avait compris que, si notre agriculture voulait demeurer compétitive, elle n’avait pas d’autre choix que de se moderniser. Il fustigeait ainsi les “combats de retardement, les combats d’arrière-garde” de certains éleveurs auvergnats qui refusaient les techniques de pointe et continuaient, en ce temps, à fabriquer des fromages de qualité variable. Pour autant, Pompidou n’était pas le chantre d’une agriculture ultra-productive et destructrice de l’environnement. Par contraste avec une vision dogmatique de l’écologie nourrie d’ignorance et de préjugés, il affirmait sa conviction que nous ne pourrions préserver notre nature et nos paysages qu’en plaçant le monde agricole au cœur de la pensée écologique.

“La France ne doit à aucun prix devenir une poussière d’agglomérations urbaines dispersées dans un désert même verdoyant et entretenu, prévenait-il. Sauver la nature qui sera demain le premier besoin de l’homme, c’est sauver la nature habitée et cultivée. Une nature abandonnée par le paysan, même si elle est entretenue, devient une nature artificielle et je dirais une nature funèbre.” A l’heure où des extrêmes de tous bords veulent opposer agriculture et écologie, ces mots de Georges Pompidou demeurent plus que jamais essentiels.

* Jérémie Gallon est directeur général pour l’Europe du cabinet McLarty Associates. Il est l’auteur de Henry Kissinger, l’Européen (Gallimard).

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