Rachat de Valdunes par Europlasma : les dessous d’une “nationalisation soft”

Rachat de Valdunes par Europlasma : les dessous d’une “nationalisation soft”

Le suspense était tout relatif : il n’y avait qu’un repreneur, adoubé par les pouvoirs publics. Mais sitôt connue la décision du tribunal de commerce de Lille, le 20 mars, Roland Lescure a quand même poussé un grand “Ouf !”, résumé dans l’expression consacrée qu’il a postée sur X : “Valdunes est sauvée”. Installé dans le Valenciennois, ce fabricant de roues et d’essieux pour les trains était devenu, depuis un an, l’objet de toutes les attentions politiques. Bien au-delà, en réalité, de son importance stratégique pour le pays.

En mai 2023, l’actionnaire chinois de Valdunes, MA Steel, qui avait racheté l’entreprise neuf ans plus tôt à la barre – déjà – du tribunal, jette l’éponge. Tous les élus du coin, des communistes aux écologistes, en passant par La France insoumise, le Rassemblement national, et jusqu’au patron LR de la Région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, mettent alors la pression sur le gouvernement pour que les 330 salariés, répartis sur deux sites – une forge et une usine -, ne finissent pas sur le carreau. Par la voix de sa secrétaire générale fraîchement élue, Sophie Binet, la CGT réclame “une nationalisation, même temporaire, le temps de trouver un repreneur solide”. Cette mobilisation générale est vite couronnée d’un premier succès : quelques jours après le retrait de MA Steel, Emmanuel Macron s’engage dans La Voix du Nord à “se battre jusqu’au dernier quart d’heure” pour trouver une solution.

Nombre d’entreprises, passées récemment par le redressement judiciaire ou la liquidation, et qui comptaient autant, voire plus, de salariés menacés, n’ont pas eu droit à cette faveur élyséenne. Camaïeu, San Marina, Pimkie… La liste est longue. Pourquoi, diable, sauver le soldat Valdunes, et pas les autres ? Parce qu’en martelant son ambition de réindustrialiser la France, le président de la République s’est rendu comptable, incidemment, de la moindre fermeture d’usine.

La SNCF et Alstom ont refusé de prendre les manettes

A grand renfort de réunions multipartites, de visites sur place et de rapports d’experts, Roland Lescure a suivi personnellement le dossier. Problème : ni la SNCF, ni Alstom, qui s’y connaissent un peu en matériel ferroviaire, n’ont voulu prendre les manettes. Pas bon signe. Quant aux concurrents européens de Valdunes qui ont étudié le dossier, ils ont eux aussi décliné. Un seul candidat s’est laissé convaincre par l’Etat : Europlasma.

Ce petit groupe industriel des Landes fournit divers produits liés à la métallurgie, comme des torches à plasma – qui permettent d’obtenir des températures extrêmes – ou des feuilles d’aluminium de très haute pureté. Rien qui concerne de près ou de loin les trains. Passé lui-même près de la faillite en 2019, il n’a dû son salut qu’à sa prise de contrôle par un fonds d’investissement luxembourgeois, lui-même financé par un autre fonds immatriculé aux îles Caïmans. Depuis, Europlasma perd en moyenne 10 millions d’euros par an. On a connu chevalier plus blanc…

Beaucoup d’argent public, et autant d’incertitudes

Qu’importe : du côté de Valenciennes, l’honneur est sauf. En tout cas, à moitié. Le projet de reprise préserve 60 % des emplois. Et si Europlasma promet d’apporter 15 millions d’euros en fonds propres durant les trois prochaines années, l’Etat s’engage à lui prêter la même somme, tandis que la Région et les collectivités locales ajoutent 5 millions au pot. Beaucoup d’argent public, donc. Et autant d’incertitudes sur l’avenir.

Dans l’entourage de Roland Lescure, on se dit “vigilant mais confiant” quant à la capacité du groupe landais à redresser Valdunes. Une assurance qui s’explique par l’œil que gardent Bercy et le ministère des Armées sur une autre activité récemment acquise par Europlasma à travers les Forges de Tarbes : la fabrication d’obus. Plus précisément, ceux des canons Caesar qui opèrent actuellement en Ukraine et qui ont valu à l’entreprise de toucher en 2022 et 2023 plus de 7 millions d’euros d’avances publiques remboursables.

Marieur, banquier, client privilégié, mais pas décisionnaire chez Europlasma. Un pied dedans, un pied dehors. Avec Valdunes, l’Etat s’aventure dans les sables mouvants d’un nouveau concept : la “nationalisation soft”. La CGT en rêvait, Bercy l’a – presque – fait.

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