Rencontres secrètes, dîners fastueux… A l’Elysée, les mystères de la salle des fêtes

Rencontres secrètes, dîners fastueux… A l’Elysée, les mystères de la salle des fêtes

Une salle des fêtes vieille de presque cent cinquante ans, avec ses dorures, ses tapisseries du XVIIIe siècle, ses lustres en cristal de baccarat, une hauteur sous plafond de six mètres, située au cœur d’un palais symbole de l’Etat en majesté, ça se camoufle. Cachez ces ors que l’on ne saurait voir. Le 3 décembre 2020, Emmanuel Macron s’adresse solennellement à la nation pour rendre hommage à Valéry Giscard d’Estaing dans un décor blanc minimaliste sur lequel figurent les sigles de la République française. C’est une première pour une allocution retransmise à 20 heures sur toutes les chaînes, hors crise sanitaire. Le président se trouve à cet instant dans la salle des fêtes, dont la sobriété n’est pas la marque première. Le décor blanc sert à cela : tout cacher. L’Histoire est taquine, Emmanuel Macron salue Valéry Giscard d’Estaing non loin de là où, un soir de mai 1981, ce dernier prit congé de ses concitoyens avec son inoubliable “au revoir”.

Depuis l’interview télévisée du 14 juillet 2020, la salle des fêtes s’est transformée en studio de télé en carton-pâte, elle servira encore pour l’entretien du 14 octobre sur TF1 et France 2. Le hasard n’a évidemment pas sa place, le décor est un message. Que ses proches surlignent : “Emmanuel Macron ne parle plus depuis un salon doré, il ne fait pas riche.”

Quand on vous dit que le pouvoir n’est plus ce qu’il était. Bienvenue au XXIe siècle, il y a belle lurette que le roi thaumaturge s’est mué en Vénus de Milo. Dans la salle des fêtes, le président n’est guère plus protégé que le pékin moyen dans le métro. Bas les masques. Le 16 décembre 2020, en pleine crise sanitaire, Emmanuel Macron dîne avec 12 proches, autour d’une table de “15 mètres de long”, dira François Bayrou, à un mètre et demi les uns des autres, afin de respecter les fameux gestes barrières – c’est pourquoi cette pièce a été choisie. Dans les heures qui suivent, on apprendra qu’Emmanuel Macron est positif au Covid-19 et que ce soir-là il n’a pas respecté les règles édictées par son propre gouvernement pour les fêtes, précisément.

Un défilé de célébrités décorées

Le pouvoir, ça se montre aussi, ça s’exhibe. La salle des fêtes sert à cela. Le pouvoir de dire. Ici est investi officiellement, après proclamation des résultats, chaque président de la République. Ici a eu lieu la dernière conférence de presse d’Emmanuel Macron, comme la plupart de celles de ses prédécesseurs, ou encore la réunion de soutien à l’Ukraine avec 27 chefs d’Etat et de gouvernement ou leurs représentants ministériels, le lundi 26 février. Ici, on a appris qu’entre Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, c’était “du sérieux”. Ici, des journalistes ont eu la larme à l’œil, en entendant Georges Pompidou déclamer du Paul Eluard pour répondre à une question à propos de l’affaire Gabrielle Russier, le suicide de cette enseignante, condamnée pour avoir eu une liaison avec un de ses élèves. “Comprenne qui voudra. Moi, mon remords ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu, celle qui ressemble aux morts, qui sont morts pour être aimés.”

Le pouvoir de décorer. Sadi Carnot avait du nez, qui entreprit la construction de cette pièce de réception, l’une des 365 du palais, pour y égayer la vie et recevoir dignement – on dressait jusque-là une grande tente dans le parc à la suite du jardin d’hiver. Quel défilé depuis… Dans le désordre, Charles Trenet, David Lynch, Sting, Gérard Depardieu, les Bleus champions du monde de foot, Céline Dion, Clint Eastwood, Tony Parker, Giorgio Armani, Karl Lagerfeld, Sylvie Vartan, Paul McCartney, Christian Clavier (il faudrait un livre pour tous les citer). Line Renaud. Et aussi Line Renaud. Et aussi Line Renaud (elle fut épinglée par tous les présidents plus ou moins récents). Plus sulfureux, Robert Bourgi, pilier de la Françafrique, ou encore Patrick Buisson, à qui Nicolas Sarkozy adressa, en présence de Jean-Luc Mélenchon, un retentissant : “Patrick, j’ai désiré le décorer seul, car sans lui je ne serais pas là aujourd’hui” – autant dire que c’était bien avant l’affaire des enregistrements.

Décorer : le 22 mars 1988, à 18 heures, c’est le dernier acte de François Mitterrand avant de filer à Antenne 2 pour annoncer, au journal de 20 heures, qu’il est candidat à sa propre succession. En marge d’une autre cérémonie, Mitterrand se laissera aller, en ces lieux augustes, à la grossièreté, une rareté chez lui. “Vous voyez celui-là”, glisse-t-il à son voisin. Il parle de Pierre Méhaignerie. “Ce type est un con et même un gros con !” – il n’a pas apprécié qu’en pleine période de cohabitation, le garde des Sceaux ne le tienne pas informé de l’affaire politico-judiciaire Schuller-Maréchal.

Le pouvoir, sinon de donner, mais d’annoncer la vie, la mort. Ici, Jacques Chirac s’est présenté devant une foule de journalistes pour des vœux à la presse : “Le président Mitterrand est mort ce matin.” Et il est reparti aussitôt. Ici, le même Jacques Chirac, décorant sa fidèle Lydie Gerbaud, s’est avancé comme jamais sur le terrain de son intimité : “Je vais vous dire quelque chose que vous ne savez pas, que j’ai su avant vous, ce qui est rare et à souligner : figurez-vous que je suis grand-père pour la première fois depuis une heure et quart !”

Mazarine présentée à l’empereur du Japon

Petits instants, grands moments, et réciproquement. Ici ont défilé les plus célèbres des dirigeants mondiaux, lors des dîners d’Etat et autres réceptions officielles. Ici, Charles de Gaulle faisait installer, à ses frais, un matériel de projection pour regarder avec ses petits-enfants, le dimanche après-midi, des films – son successeur Georges Pompidou fera installer une salle de cinéma dans un sous-sol. On l’aurait parié : le général n’était pas très Walt Disney, mais il a vu plusieurs fois Le ballon rouge d’Albert Lamorisse, sur l’amitié entre un petit garçon et un gros ballon rouge accroché à un réverbère, dans le Paris des années 1950.

Ici, François Mitterrand a présenté sa fille longtemps secrète, Mazarine, à l’empereur du Japon, lors d’un dîner d’Etat, le 3 octobre 1994. Paris Match n’a pas encore révélé à la France entière son existence, mais les invités ouvrent grand les yeux en voyant le vieil homme prendre par la main la jeune fille pour qu’elle aille saluer Akihito.

Ici, si les murs n’ont pas d’oreilles, du moins on l’espère, ils ont des richesses insoupçonnées. François Mitterrand, qui avait déjà fait enlever les tentures recouvrant les portes-fenêtres pour qu’on puisse voir les arbres, a joué avec l’Histoire, mieux, avec l’éternité : il fait graver l’emblème de sa présidence, le chêne et l’olivier, sur une petite plaque de zinc qui est depuis dissimulée au-dessus du plafond et qu’on ne peut apercevoir que depuis le toit (l’anecdote est révélée par Patrice Duhamel et Jacques Santamaria dans la dernière édition de L’Elysée, histoire, secrets, mystères, chez Pocket).

Ici, des témoins ont entendu Nicolas Sarkozy, tout jeune ministre du Budget, converser près du buffet avec François Mitterrand en ne lésinant pas sur les compliments à l’égard du plus long chef de l’Etat de la Ve et de son talent politique.

Les prédécesseurs d’Emmanuel Macron ne reconnaîtraient pas la salle

Un jour récent, Emmanuel Macron, lui, met carrément le feu en pensant ne regarder qu’une bougie être allumée : à l’issue d’une cérémonie de la Conférence européenne des rabbins, le grand rabbin de France, Haïm Korsia, sous les yeux du président de la République, allume la première bougie de Hanoukka. La laïcité est un sujet brûlant, la polémique est assurée.

Ce n’est pas une histoire de pompiers, plutôt de plombiers. L’ancien hôtel d’Evreux date de 1722, voici que des infiltrations d’eau sont découvertes derrière les tapisseries. A la fin de 2018, la salle des fêtes se refait une beauté. Brigitte Macron veille au grain. 150 artisans, huit semaines de travaux. On allait oublier : et 500 000 euros de dépenses, l’entretien du patrimoine a un coût. Le Monde révélera que la moquette à elle seule revient à 300 000 euros : une pièce de deux tonnes de laine, teinte en Belgique et tissée à la manufacture royale du parc d’Aubusson. Fini le style “rouge empire”, place à un “gris XVIIIe”. Les tapisseries au style vieillissant sont retirées, confiées au Mobilier national afin de donner une allure plus épurée à la salle. L’idée, explique le palais, consiste à relier chromatiquement cette salle des fêtes avec le Jardin d’hiver et le Salon Napoléon dans un style plus contemporain.

Il y aura bien un avant et un après Emmanuel Macron. Ses prédécesseurs ne reconnaîtraient pas la salle. Dominique de Villepin, qui ne fut pas président (sauf peut-être dans sa tête), trouva cela très moche, quand il découvrit la pièce à l’occasion d’un pot des anciens collaborateurs de Jacques Chirac organisé par l’actuel chef de l’Etat. Il ne sentait plus la présence de De Gaulle, “en croyant donner plus d’apparat, ils ont retiré tout le mystère”, avait estimé l’ancien Premier ministre, cité par Le Monde. Les fantômes sont-ils mortels ?

La salle des fêtes, ou comment se dire adieu. Il tombe des cordes ce jour-là, pourtant François Hollande est encore loin de l’Elysée. Nous sommes le 16 mai 1995. Demain, après un ultime petit-déjeuner avec Jean d’Ormesson, François Mitterrand transmettra le code nucléaire à Jacques Chirac, au terme de quatorze ans passés à la présidence de la République. Sa femme Danielle lui réserve une petite surprise. Sans le prévenir, elle a convié une centaine de jeunes socialistes, arrivés dégoulinants dans la prestigieuse pièce. Elle prie son mari de descendre de son bureau, il vient discuter pendant une heure avec ces invités pas comme les autres.

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