“Si le soleil s’en souvient” : quand Jean-Paul Enthoven tombe le masque

“Si le soleil s’en souvient” : quand Jean-Paul Enthoven tombe le masque

Que faire quand le destin vous fait naître dans un endroit qui vous répugne ? Peut-on, quand on se fantasme en prince de Ligne, s’affranchir totalement d’une enfance au milieu de “rocailles en éruption” et de “ruelles parfumées de crottins”? Jean-Paul Enthoven a passé ses quinze premières années à Mascara, “une petite ville dépourvue de charme et perchée sur les hauts plateaux d’une Algérie encore française”. Longtemps, cet adepte du mentir-vrai a tenté de faire croire qu’il était le rejeton des beaux quartiers de Paris, en dépit du bronzage le plus flamboyant de la capitale.

Mais avec l’âge, l’écrivain et éditeur s’est mis à tomber les masques, ce qui lui a permis de signer des livres de plus en plus émouvants. Dans Si le soleil s’en souvient, il lève enfin le voile sur ses origines nord-africaines. Une jeunesse en plein crépuscule de l’Algérie française, sur fond d’attentats et de ratonnades, d’OAS et de fellagas. Qu’on se rassure : Jean-Paul Enthoven ne s’est pas transformé en Annie Ernaux version coloniale.

Ce grand proustien avoue que si tout ici est “presque vrai”, il a quelque peu enjolivé des souvenirs, notamment le portrait de son père Edmond, bâtisseur de cinémas aux limites du Sahara dépeint en sosie de Gregory Peck. Mais qu’importe la vérité du passé, le lecteur a droit à une restitution voluptueuse de la fin d’un monde, comme celle d’une existence primitive que l’auteur s’est évertué à faire oublier et à dépasser. Le tout agrémenté de beaux hommages à Herman Melville et à Albert Camus, comme de savoureux éreintements du Petit Prince et du Grand Meaulnes.

Si le soleil s’en souvient, par Jean-Paul Enthoven. Grasset, 220 p., 19 €.

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