Smic : comment sortir de la trappe à bas salaires, par Nicolas Bouzou

Smic : comment sortir de la trappe à bas salaires, par Nicolas Bouzou

La “désmicardisation” de l’économie a été érigée par Gabriel Attal comme l’une des priorités du nouveau gouvernement. Derrière ce terme phonétiquement atroce se cache une spécificité bien française : la part des salariés payés au salaire minimum ne cesse d’augmenter. Elle a atteint 17 % en 2023. D’après l’OCDE, le smic équivaut à 60 % du revenu médian français, un record en Europe. Ces chiffres signifient que les smicards sont de plus en plus nombreux, mais aussi qu’une part croissante des salariés de notre pays sont rémunérés à proximité du salaire minimum.

Le mot de “smicardisation” est laid mais il exprime une réalité inquiétante. Cet écrasement de l’échelle des salaires traduit un manque de dynamisme salarial qui pose un vrai souci de mobilité sociale. Dans une société qui a une haute idée d’elle-même, le fait que les rémunérations convergent vers le salaire minimum, même si celui-ci est en augmentation, a quelque chose de désespérant.

Fondamentalement, nous retrouverons une dynamique salariale durable à tous les échelons quand notre productivité et notre croissance seront plus élevées. On ne peut pas contraindre les lois de la gravitation économique : impossible de générer des salaires sans croissance, et de la croissance sans productivité. Or, la croissance de la France tourne autour de 1 % et la productivité est en baisse depuis le Covid. Avec une once de provocation, mais sans travestir la réalité, on pourrait dire que la croissance actuelle est miraculeuse vu la productivité, et que l’augmentation des salaires est miraculeuse vu la croissance.

Notre pays regagnera en punch salarial, au-delà des augmentations du smic, quand notre système éducatif et de formation continue se sera amélioré, quand l’industrie sera robotisée, quand les entreprises de services sauront utiliser l’intelligence artificielle. Cela prendra du temps, or il nous faut des résultats maintenant.

“Désétatiser” le smic

C’est à ce titre que le Premier ministre et la ministre du Travail, Catherine Vautrin, devraient prendre connaissance du remarquable travail que vient de publier pour l’Institut Montaigne l’avocat Franck Morel, qui fut notamment le conseiller social d’Edouard Philippe à Matignon ou de Xavier Bertrand Rue de Grenelle. Morel rappelle que les allègements de charge à proximité du smic ont largement contribué à l’écrasement de l’échelle des salaires.

Dans les années 1990, ces allègements ont permis de diminuer le coût du travail faiblement qualifié et d’augmenter le taux d’emploi dans cette catégorie de population. Face au chômage, cette politique est un succès. En revanche, elle génère une “trappe à bas salaires”. Pour augmenter un salarié célibataire au smic de 100 euros nets par mois après impôt, l’économiste Gilbert Cette a montré que l’employeur devait débourser 483 euros : les cotisations sociales employeur et salarié augmentent de 281 euros, alors même que ce collaborateur perd 78 euros de prime d’activité et doit s’acquitter de 23 euros au titre de l’impôt sur le revenu.

Diminuer la progressivité des cotisations permettrait de refermer partiellement cette trappe. Mais une telle réforme serait complexe et pourrait affecter l’emploi, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. Franck Morel propose donc de “désétatiser” le smic, établi aujourd’hui par décret, et d’en confier la fixation aux partenaires sociaux, branche par branche.

Les syndicats y sont-ils prêts ?

Cette conventionnalisation, qui injecterait de la liberté dans notre contrat social tout en le préservant, offrirait également aux négociateurs de branche la possibilité de moduler le niveau du smic en fonction des territoires, ce qui serait logique d’un point de vue économique. Les marchés du travail, de l’immobilier, et même les prix à la consommation, ne sont pas les mêmes à Paris, Bordeaux ou Lunel. Les partenaires sociaux pourraient ainsi appréhender la grille des salaires dans son ensemble, en fonction des spécificités de leur branche, et intégrer dans leurs décisions cette problématique locale de la “smicardisation”. Les syndicats, qui sont si enclins à critiquer, souvent à juste titre, l’interventionnisme de l’Etat, sont-ils prêts à se saisir de cette responsabilité ?

* Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères

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