Trop prudent, trop fade ? A l’ONU, la mission quasi impossible d’Antonio Guterres

Trop prudent, trop fade ? A l’ONU, la mission quasi impossible d’Antonio Guterres

Son poste est l’un des plus difficiles au monde. Une mission quasi impossible. Sur le conflit à Gaza, ses prises de position sont d’ailleurs loin de faire l’unanimité. Après avoir condamné les actes de terreur du 7 octobre 2023 en Israël, le secrétaire général de l’ONU s’est attiré les foudres de l’Etat hébreu, en estimant que les attaques du Hamas ne s’étaient pas produites “en dehors de tout contexte” et que les Palestiniens avaient “subi cinquante-six ans d’occupation étouffante”. Depuis, ce Portugais de 74 ans a continué à dénoncer les “violations claires de la loi internationale” à Gaza et à appeler à un cessez-le-feu. En décembre, il a invoqué l’article 99 de la Charte, un pouvoir rarement utilisé, qui permet à un secrétaire général d’attirer l’attention du Conseil de sécurité sur un sujet dangereux pour la paix internationale. Et en mars, il s’est rendu côté égyptien au poste frontière de Rafah pour dénoncer le “cauchemar sans fin” des Palestiniens. Au point que certains lui reprochent d’oublier le drame des Israéliens.

Tout cela sans grand résultat. Maintenir la paix est “souvent une tâche de Sisyphe”, reconnaît ce polyglotte cultivé, passionné d’histoire et d’opéra, qui s’est d’abord fait un nom en gravissant les échelons politiques dans son pays. Désireux de pousser ses idées sociales, le jeune ingénieur, catholique pratiquant, devient membre du Parti socialiste en 1974, l’année de la Révolution des œillets. Il se hisse à sa tête en 1992 et ajoute une rose au symbole du poing fermé pour lui donner une image plus social-démocrate. Trois ans plus tard, Antonio Guterres est nommé Premier ministre. L’homme est populaire même si – un comble pour un Portugais -, il n’aime pas la morue. Il investit dans l’éducation et crée un revenu minimum d’insertion, tout en continuant les privatisations et réduisant le déficit. En 1998, malgré la mort de sa femme, il se relance en campagne et redevient Premier ministre. Les socialistes n’ont pas la majorité, ce qui l’oblige à manœuvrer. Et déjà, on l’accuse de trop chercher le consensus. Après la défaite du Parti aux élections locales, il démissionne au milieu de son second mandat.

C’est alors qu’il donne une nouvelle orientation à sa carrière. Il se fait élire à la direction du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) en 2005. Sous sa tutelle, le rôle du HCR s’accroît, en partie en raison de l’explosion du nombre de réfugiés. Il obtient le soutien des donateurs grâce à une réduction des coûts de fonctionnement du siège.

Après cette expérience réussie, il prend la tête des Nations unies en 2017. “Au HCR, il s’était montré très efficace et l’on pensait qu’il en serait de même à l’ONU. Mais le sentiment général est plutôt à la déception, estime Jeffrey Feltman, ancien sous-secrétaire général des affaires politiques de l’ONU, pour qui “ce n’est pas entièrement de sa faute, car il opère dans un environnement extrêmement difficile”.

Une “malchance exceptionnelle”

Antonio Guterres a connu une “malchance exceptionnelle”, abonde Richard Gowan, de l’International Crisis Group. “Il a passé la plupart de son premier mandat à gérer Donald Trump et à limiter ses dégâts. Après le départ du président républicain, Guterres a pensé qu’il pourrait jouer un rôle plus important. Et puis il y a eu l’Ukraine, Gaza”… et la pandémie. Il n’est pas resté inactif. Outre son coup de gueule contre Israel, il a condamné de manière véhémente la Russie lors de l’invasion de l’Ukraine. Et il s’est impliqué dans l’accord céréalier entre Moscou et Kiev, “probablement son plus grand succès diplomatique”, poursuit Richard Gowan, même si depuis, celui-ci a capoté.

Là encore, on lui reproche d’être trop prudent et de ne vouloir fâcher personne – surtout pas les Chinois. On l’accuse de ne pas s’être assez mobilisé sur le Soudan et sur l’Ethiopie, et de ne pas avoir assez mis la pression sur la Russie. “De son premier mandat, on retient un côté fade, bien que consciencieux, écrit l’historien Stephen Schlesinger, spécialiste des Nations unies. En gardant un profil bas, il a peut-être manqué une unique chance de promouvoir l’ONU et lui-même.”

En même temps, rétorque une autre connaisseuse de l’organisation qui préfère rester anonyme, “le secrétaire général n’a pas d’argent, pas de pouvoir de sanction et il se retrouve avec un Conseil de sécurité paralysé par les tensions.” Ceci explique, ajoute Jeffrey Feltman, pourquoi “il a choisi de se focaliser sur les batailles où il dispose d’un soutien suffisant des Etats membres et de l’opinion publique, telles Gaza, l’intelligence artificielle ou l’action sur le climat”. Pas sûr que cela suffise à redorer son blason.

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