“Un côté flic, bien renseigné” : Grégory Canal, le “monsieur Corse” de Darmanin

“Un côté flic, bien renseigné” : Grégory Canal, le “monsieur Corse” de Darmanin

Le 12 mars dernier, à l’issue d’un ultime dîner réunissant les élus insulaires à Beauvau, Gérald Darmanin annonce la validation du projet “d’écriture constitutionnelle” qui prévoit la reconnaissance “d’un statut d’autonomie” de la Corse “au sein de la République” accompagné d’un “pouvoir normatif propre, qu’il soit législatif ou réglementaire”. Le texte respecte dans le temps imparti les lignes rouges fixées par le président de la République depuis le début du processus entamé en mars 2022, à la suite de l’assassinat d’Yvan Colonna en prison. Le projet devra passer l’épreuve du Parlement, mais le message du ministre de l’Intérieur est clair : il a fait le “job”.

Dans l’ombre du ministre, Grégory Canal, son conseiller, peut savourer l’agréable sentiment du travail accompli. L’artisan de l’accord avec les forces politiques insulaires aux divisions et inimitiés multiples, c’est lui. Le cabinet prend soin d’entretenir la discrétion à son égard, mais l’élégante silhouette de ce haut fonctionnaire de 48 ans est bien connue des premiers cercles du pouvoir. Né à Paris, juriste de formation, militant RPR, il rejoint François Fillon à Matignon pendant cinq ans, chargé des relations avec les élus d’abord, puis chef adjoint de son cabinet. Sous-préfet en 2012, directeur de cabinet du préfet de l’Aisne, il organise en 2017 la campagne de Fillon avant la chute de ce dernier.

En 2020, il devient premier adjoint au maire du XVe arrondissement, le LR Philippe Goujon, qui ne tarit pas d’éloges à son propos : “Il est très fort dans la résolution des conflits, toujours de bonne humeur et empathique. Il a réalisé la fusion de ma liste avec celle de Rachida Dati pour faire barrage à la gauche, c’était pourtant très compliqué”. Il réussit aussi le tour de force de travailler pour la majorité présidentielle sans susciter les rancœurs de sa famille politique. “Canal, c’est un cas particulier, il est authentiquement de droite, il n’est pas soluble dans la Macronie. Parmi les conseillers au gouvernement, c’est l’un des derniers dinosaures à avoir l’expérience du pouvoir et des campagnes présidentielles, il fait de la politique à l’ancienne dans l’un des rares ministères qui fait encore de la politique. Chaque voix et chaque détail comptent. Il est aussi l’un des seuls à grenouiller au Sénat après les questions au gouvernement. Il est terriblement efficace”, commente un cadre LR.

Affable et bon vivant

Loyal, fidèle, fin négociateur, homme de réseaux enraciné à droite : autant de qualités qui incitent le ministre à l’appeler à ses côtés, puis à en faire son conseiller chargé de l’explosif dossier corse. Ils se connaissent depuis 25 ans, Canal avait accueilli le jeune militant Darmanin au RPR. “Ils sont très amis, une confiance mutuelle les lie”, assure Philippe Goujon.

Les deux hommes débarquent à Ajaccio en mars 2022 sur fond d’émeutes de rue et de reprise des attentats du FLNC. Ils y trouvent un monde politique dominé par les nationalistes dont le succès dans les urnes ne se dément pas depuis 2015 (près de 68 % aux dernières élections) mais très divisés entre autonomistes et indépendantistes, tous frères ennemis. Les relations entre Paris et la majorité territoriale menée depuis huit ans par le président autonomiste de l’exécutif de Corse Gilles Simeoni sont tendues, la question du sort du commando Erignac en est la première cause. Mais en avril 2022, le gouvernement consent au transfert des prisonniers sur l’île.

Grégory Canal trouve ses marques dans un pays passionné de politique. Son caractère affable et bon vivant plaît aux Corses. Méticuleux et bûcheur, il entreprend le tour d’horizon des composantes de la société qui lui rapportent les maux de l’île : urbanisme, spéculation foncière, pauvreté… Et applique sa méthode : le corps à corps en coulisse, multipliant les rencontres, les coups de téléphone jusqu’à des heures avancées de la soirée. Hors du comité stratégique, il communique directement avec les élus, à commencer par Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons au palais Bourbon. “Grégory Canal n’a pas ménagé sa peine, commente le député qui ne cache pas sa proximité avec Darmanin, il s’en sort vraiment pas mal vu la complexité du dossier.”

D’autant que la droite est elle-même fractionnée : le clan Marcangeli étant favorable à un pouvoir législatif pour une véritable autonomie alors que le sénateur LR Jean-Jacques Panunzi et Jean-Martin Mondoloni, coprésident du groupe de droite à l’assemblée de Corse, y sont résolument hostiles. Inlassablement, Grégory Canal travaille une voie de passage. “On ne partage pas les mêmes avis mais il sait marcher sur les crêtes et si le ministre peut se prévaloir pour l’heure d’un succès, il le lui doit”, reconnaît Jean-Martin Mondoloni. L’autonomiste Jean-Christophe Angelini apprécie sa dimension politique : “Ce n’est pas un techno, c’est un militant avec des convictions qui peuvent être différentes des nôtres mais qui nous respecte et comprend les enjeux. C’est un élu, ce qui facilite les choses, il n’a jamais renié un seul de ses engagements. Si nous avons pu aboutir, c’est grâce à l’énergie qu’il a déployée”.

“Quand on lui fait un mauvais coup, il le rend”

D’autres, comme l’indépendantiste Paul-Félix Benedetti, retiennent surtout le côté manœuvrier du négociateur : “Il a poussé à un accord minimaliste en intégrant la volonté des groupes de droite, on ne s’est pas calés là-dessus”. Un membre de la majorité territoriale ajoute : “Il s’est immiscé dans la politique locale, jouant de nos divisions pour mieux régner. Il est un peu épicier, à tu et à toi mais il se montre aussi psychorigide, un côté flic, bien renseigné, le style de la droite à la Pasqua”.

“Quand on lui fait un mauvais coup, il le rend, c’est le jeu de la politique”, tempère un élu de l’opposition. Le mauvais coup, c’est l’abstention des trois députés nationalistes à la motion de rejet contre la loi immigration pour laquelle Canal a beaucoup œuvré et dont les tractations avaient suspendu le processus durant plusieurs mois. En clair, les “natios” ont alors joué un mauvais tour au gouvernement.

Grégory Canal n’est pas que le Monsieur Corse de l’Intérieur, il est aussi l’homme clé de Darmanin au Sénat, nommé conseiller parlementaire pour maintenir le lien avec la droite. Le choix des nationalistes dans ce moment décisif n’est pas passé inaperçu. Mi-février, alors que les insulaires n’avaient toujours pas trouvé un compromis, Darmanin donne une interview au vitriol dans Corse Matin, exigeant une conclusion rapide du processus. Sous pression, les élus se mettent rapidement d’accord, ouvrant la voie à la validation des écritures constitutionnelles. La phase parlementaire qui va suivre est plus qu’incertaine tant l’autonomie et la reconnaissance d’une communauté corse crispent déjà les sénateurs. Mais en habiles politiques, Gérald Darmanin et Grégory Canal pourront toujours se prévaloir d’avoir réussi à proposer une solution au conflit politique qui mine les relations entre Paris et la Corse depuis plus de quarante ans.

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