“Un jour, à 55 ans, ma mère s’évade…” : on a lu le dernier roman d’Edouard Louis

“Un jour, à 55 ans, ma mère s’évade…” : on a lu le dernier roman d’Edouard Louis

Dans Les Origines, le sociologue Gérald Bronner (chroniqueur à L’Express) reprochait à Edouard Louis de propager une vision “doloriste” des transfuges de classe. Mais, surprise, Monique s’évade détonne par son optimisme. “Pendant longtemps, j’ai eu honte d’écrire sur la joie. J’ai toujours eu le sentiment qu’il y avait des choses graves, laides, dont il fallait parler en priorité”, confie Edouard Louis, que l’on rencontre au café d’un hôtel parisien.

Court et très émouvant, le livre évoque une nouvelle fois la famille de l’auteur, les Kardashian picards. Et notamment sa mère Monique. Cette mère qui, en 2014, avait protesté dans les médias contre le portrait ravageur de sa famille et de son village du Nord brossé dans En finir avec Eddy Bellegueule. Cette même mère qui, en 2021, était le sujet de Combats et métamorphoses d’une femme. L’écrivain y racontait alors comment elle avait quitté son père pour un autre homme installé à Paris. Trois ans plus tard, Monique s’évade relate une nouvelle fuite et émancipation. “Un jour, à 55 ans, ma mère s’évade de chez cet homme qui boit tous les jours et la traite de pute, de salope. Elle m’appelle pour me prévenir, je lui dis au téléphone de partir sans attendre, elle prend quelques affaires et son chien, et elle s’enfuit”, résume Edouard Louis.

Le jeune trentenaire aide alors sa mère à reconstruire sa vie depuis Athènes, où il est en résidence d’écrivain. La scène où il suit à distance l’évasion de Monique via son application de taxi est particulièrement marquante. Son livre rappelle que la liberté représente avant tout une question matérielle. “Ma mère ne savait pas ce que veut dire vivre seule et libre. Elle est tombée enceinte à 17 ans, ensuite elle a eu d’autres enfants avec son premier mari qui était alcoolique, elle a divorcé, puis elle a rencontré mon père qui la faisait souffrir en l’interdisant de travailler ou de passer le permis par exemple, et elle a eu d’autres enfants avec lui aussi.”

“Il y a une polarité entre mon père et ma mère”

Mais Monique est aussi une incarnation de la résilience. “Ma mère a vécu des situations extrêmement violentes dans sa vie, mais, quand elle arrive à s’en extraire, ce qui est incroyable c’est que la trace de cette violence disparaît tout d’un coup en elle. Elle n’entretient jamais la blessure.” Toujours politique, ce bourdieusien ne peut s’empêcher, devant nous, de faire une analyse de classe : “Je vois souvent dans la bourgeoisie des individus qui cultivent leur blessure, qui y reviennent sans cesse, notamment en faisant de la psychanalyse, des thérapies collectives. Je sais que cela peut aider certaines personnes, mais je me demande aussi à quel point cette culture de sa propre blessure empêche d’en sortir.”

A travers les évolutions de ses géniteurs, les autofictions d’Edouard Louis offrent une bonne image de comment les trajectoires des hommes et femmes peuvent diverger au sein des classes populaires. “Il y a une polarité entre mon père et ma mère. Mon père ne peut presque plus marcher, il s’est effondré, alors que ma mère, elle, s’en est sortie. Plus généralement, on sait que les femmes des classes populaires font souvent plus d’études que les hommes, qu’elles vivent plus longtemps. La différence, c’est que mon père, comme beaucoup d’hommes de son milieu, a toujours vécu la violence qu’il a reçue comme si c’était quelque chose qu’il avait choisi. Etre un vrai dur, à ses yeux, c’était boire de l’alcool, avoir un comportement agressif, ne pas se soumettre à la discipline, refuser le système scolaire. Plus il s’enfonçait, plus il se pensait libre. Alors que ma mère, comme femme, n’a jamais pensé qu’elle choisissait ce qu’elle a vécu. Mon père lui disait ‘tu restes à la maison, tu fais la cuisine’. Comme elle n’a jamais pensé que sa vie était un choix, elle a pu s’en échapper. C’est aussi ce que j’ai vécu comme gay.”

L’affaire est moins médiatisée que l’idylle entre le transclasse vosgien Nicolas Mathieu et la princesse Charlotte Casiraghi, mais il arrive désormais à Monique de fumer des cigarettes avec l’actrice française la plus célèbre du monde. Un après-midi, Catherine Deneuve l’a reconnue, puis elles se sont revues. “Ma mère dit autour d’elle qu’elle est la mère d’Edouard Louis, alors même qu’elle se plaignait des livres que j’ai écrit sous ce nom. Il y a quelque mois, Catherine Deneuve lui a dit : ‘Vous devez être fier de votre fils.’ Et elle a répondu : ‘Ah oui, je l’ai beaucoup encouragé à écrire des livres'”…

Monique s’évade, par Edouard Louis. Seuil, 162 p., 18 €.

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