L’écrivain Jean-Paul Dubois, un homme de méthode(s) : “Je fais des petites listes”

L’écrivain Jean-Paul Dubois, un homme de méthode(s) : “Je fais des petites listes”

Trois petits jours et puis s’en va. Autant dire qu’il faut viser juste pour rencontrer à Paris Jean-Paul Dubois. Et cela fait vingt-trois romans que cela dure. “Trois ou quatre jours de promotion, du lundi au jeudi normalement, j’adore cela, me mettre des règles à la c.. “, confie le Toulousain à la belle crinière blanche. Mais il peut faire moins. En 2019, pour accompagner son Goncourt décroché avec Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, il n’est resté que vingt-quatre heures, préoccupé par la maladie de “l’amour de sa vie”, son golden retriever de 14 ans. Puis il n’a effectué que deux déplacements en France pour accompagner son trophée, ce qui n’a pas empêché son Goncourt de se vendre à plus de 565 000 exemplaires en grand format (et à 135 000 en Points). Pas de méprise, l’ex-journaliste, romancier depuis 1984, ne snobe pas ses lecteurs, au contraire, il les estime trop pour ne leur accorder que deux minutes distraites alors qu’ils viennent de longtemps patienter. Pour L’Origine des larmes, tout juste sorti, il a ainsi prévu deux uniques rencontres, à portée de scooter.

“Le livre est une forme adulte du jeu”

Jusque-là, pourquoi pas, mais bientôt apparaissent d’autres “règles”, quelquefois étranges. En fait, ce “libertaire” (selon ses propres mots) de 74 ans est pétri de rituels. Ainsi écrit-il toujours ses romans en trente et un jours maximum. “J’avais lu J’irai cracher sur vos tombes de Boris Vian dont il avançait qu’il l’avait fait en vingt-quatre ou vingt-cinq jours, raconte Dubois, alors, pour mon premier livre, je me suis dit “tiens, je vais faire la course avec Vian”. Je ne l’ai jamais battu, mais j’ai pensé, au fond, c’est pas mal de travailler comme cela, c’est-à-dire de 10 heures à 4 heures du matin, au rythme de huit pages par jour. Et puis je fais des petites listes, je note tout, le nombre de médicaments, de verres de Coca, de jus d’orange, d’eau, pris durant le mois. J’adore procéder ainsi, comme gamin j’aimais jouer avec les codes. Le livre est une forme adulte du jeu, car écrire est certainement la chose la plus déraisonnable et la plus irrationnelle qui soit : vous êtes en train de raconter le plus sérieusement du monde quelque chose qui n’existe pas à des gens qui a priori n’en ont rien à foutre. Pour faire cela, il faut être dopé. C’est ma méthode.”

Reste que l’écriture peut être éprouvante, comme elle le fut pour cet Origine des larmes rédigé dans la Ville rose durant le mois d’août 2023, avec 40 degrés le jour et 30 la nuit, trente et un jours dans le noir derrière les volets ! D’où, peut-être, la noirceur mordante du roman, et, en tout cas, l’embarras de son auteur. “En parler me met mal à l’aise, nous dit-il, il n’est pas autobiographique, évidemment, sauf que j’habite l’histoire tout le temps, par mon passé, le puzzle de ma mémoire, mes chiens, Hendaye, Fontarrabie…” A ce stade, il serait sage de dire quelques mots sur cet Origine des larmes dont le narrateur, prénommé Paul, bien sûr (comme la plupart des “héros” de ses romans), est un célibataire solitaire de 51 ans qui vient d’aller récupérer le corps de son père, décédé au Canada (autre invariant de Dubois). Une fois en France, il tire deux balles dans la tête du père honni. Un triste sire que ce salaud de Thomas Lanski, méchant père, mauvais mari, entrepreneur marron… Est-ce un crime de tuer un cadavre ? Paul est condamné à une obligation de soins d’un an. Durant les douze séances auprès du psychiatre, un certain Dr Frédéric Guzman à l’œil larmoyant (conjonctivite), et alors qu’une pluie diluvienne tombe sans discontinuer sur Toulouse en cette année 2031, Paul va se dévoiler et dire les racines du mal, le “désastre originel” : sa naissance concomitante à la mort de sa mère et à celle de son frère jumeau.

“La nuit je me levais pour voir si mon père respirait”

Jean-Paul Dubois, lui, n’a pas perdu de frère, mais a connu la solitude de l’enfant unique (“aujourd’hui même, je paierais cher pour avoir une sœur”) et a vu son insouciance s’envoler à l’âge de 8 ans lorsqu’il a appris que son père, malade, pouvait mourir à la moindre contrariété : “La nuit je me levais pour voir s’il respirait. Le “bonheur” peut s’arrêter comme cela, vous gardez à vie cette inquiétude, l’appréhension de ce qui peut arriver.” Les allers et retours avec le roman se multiplient. Dag Hammarskjöld, l’ancien secrétaire général de l’ONU, faux grand-père de Paul ? Vénéré par Dubois depuis ses 11 ans. La fugue avortée du gamin ? L’orgie d’hosties ? La mort du chien ? Le film sur le Coréen qui peignait des gouttes d’eau ? La fin de vie dans la dignité ? Puisés dans le passé de l’auteur. Manquent les séances de psy. Là, c’est l’écriture qui fait l’office.

L’Origine des larmes, par Jean-Paul Dubois. Editions de l’Olivier. 256 p., 21 €.

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