Agriculteurs, la faute à l’Europe ? Le vrai du faux sur la PAC

Agriculteurs, la faute à l’Europe ? Le vrai du faux sur la PAC

Des blocages routiers qui s’étendent de Pau à Bordeaux, gagnent la Bretagne et la Picardie, éclosent jusqu’au sud-est de la France. Démarrée en début de semaine en Occitanie, la fronde des agriculteurs européens prend de l’ampleur sur le territoire français. Mercredi 24 janvier, la Confédération paysanne, troisième syndicat agricole du pays, classé à gauche, a appelé l’ensemble de ses adhérents “à se mobiliser” auprès des agriculteurs déjà sur le terrain, rejoignant la Coordination rurale et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).

Parmi les raisons de cette crise aux implications multiples figure la PAC, pour Politique agricole commune, le plan européen de soutien à l’agriculture. Trois lettres qui concentrent les griefs du secteur à l’encontre de l’Union européenne. “Le mouvement va se généraliser, il a débuté en Allemagne, il est en Roumanie, il est en Hollande, il est partout, c’est le ras-le-bol généralisé, c’est l’échec de la PAC”, déclarait en début de semaine Serge Bousquet-Cassagne, le très influent président de la Chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne.

Une montagne bureaucratique

Représentant près de 30 % du budget de l’Union européenne, la PAC est devenue ces dernières décennies une véritable machine à subventionner l’agriculture. Et la France en est la première bénéficiaire, avec 9 milliards d’euros d’aides par an. Ce dispositif engendre, de fait, une multitude de normes pour les exploitants français. Tous s’accordent à dire que le mille-feuille réglementaire qui régit désormais le travail des agriculteurs, allant de l’usage des produits phytosanitaires à la taille des cages pour les volailles, est devenu trop pesant. “Quand on parle de complexité, c’est en réalité une multitude de règles qui viennent de tous les coins, et les dernières réglementations en ont encore ajouté”, évoque Luc Vernet, cofondateur du think-tank européen Farm Europe.

Depuis la réforme de la PAC en 2023, la répartition des aides se fait de manière moins verticale. Pour la première fois, la politique agricole européenne est déclinée dans chaque Etat via des plans stratégiques nationaux. Cette méthode vise à répondre à une critique récurrente qui fait de Bruxelles une fabrique de contraintes imposant ses vues au monde agricole. Cependant, la traduction de cette PAC au niveau national apporte une couche de bureaucratie supplémentaire.

“Il faut bien reconnaître que le plan national français est d’une complexité absolue, avec des justifications à apporter pour tout”, constate Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech, évoquant les 1 200 pages du texte. Cette lourdeur administrative a un coût, soulignent les experts. Elle peut également entraîner une source de stress pour un certain nombre de professionnels, qui craignent de commettre une bourde pouvant suspendre ces subventions. “Il existe une vraie inquiétude sur le fait de ne pas être dans les clous, alors que l’ensemble des aides directes que touchent ces agriculteurs forment parfois la totalité de leurs revenus”, signale Luc Vernet.

Des normes environnementales en pagaille

Règlement sur les pesticides, préservation de la biodiversité… Les textes auxquels s’opposent les agriculteurs sont multiples. Mais c’est surtout la stratégie européenne de la “Ferme à l’assiette”, qui attise la colère. Ce plan de transition de l’agriculture européenne est un des pans du “Green deal”, ou pacte vert, européen. Il prévoit notamment de porter à 25 % la part de l’agriculture biologique d’ici à 2030, ou de réduire de 50 % les pesticides consommés dans l’UE à cette échéance. Pourtant, malgré les craintes des agriculteurs, ces mesures, qui suscitent encore une large opposition au Parlement européen, ne sont pas entrées en application. Et leur avenir est aujourd’hui compromis par les blocages politiques au sein des institutions. “Malgré tout ce que l’on peut entendre, ces réglementations n’existent pas encore, et n’existeront probablement pas quand on voit le rétropédalage de la présidente de la Commission européenne sur le sujet”, tempère Jean-Christophe Bureau.

Si ce volet du pacte vert reste en suspens, les agriculteurs ne sont pas pour autant exempts de normes environnementales. Introduit en 2003, le principe de conditionnalité des aides a été renforcé lors de la programmation de la PAC en 2023. Il impose de respecter plusieurs exigences, notamment les bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE). Ces critères, relativement souples, prévoient la rotation des cultures, la protection des zones humides, ou encore l’obligation du maintien de certaines prairies. Depuis la réforme de 2023, pour toucher davantage d’aides, les agriculteurs peuvent s’astreindre à des procédés plus exigeants sur le plan environnemental, appelés écorégimes. Un palier de justification supplémentaire qui doit permettre d’amorcer une transition vers une agriculture plus vertueuse, mais qui suscite des oppositions dans un secteur très dépendant des subsides. “Durant longtemps, on a donné l’argent de la PAC sans contreparties, ou très peu. Désormais, on essaye d’en imposer, alors forcément ça bloque…”, relève Jean-Christophe Bureau.

L’aiguillon du pacte vert

Les récentes évolutions de la PAC semblent malgré tout en retard par rapport à la nécessaire transition du modèle agricole. En 2021, un rapport remis à la Commission par une équipe de scientifiques de l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE) et d’AgroParisTech soulignait le fossé qui existait encore entre les ambitions européennes et la réalité de la Politique agricole commune : “Les pratiques agricoles et alimentaires de l’Union européenne sont loin de répondre à l’ambition, à la finalité et aux objectifs quantitatifs du pacte vert pour l’Europe en ce qui concerne le climat, l’environnement, la nutrition et la santé dans ce secteur”, écrivaient-ils. Depuis, la nouvelle mouture de cette politique ne semble pas avoir fait bouger les lignes. “Ce qui se percute dans cette crise, c’est ce qui est affiché dans le Green Deal pour l’agriculture et en face, une PAC qui n’a pas encore fait sa révolution copernicienne et qui n’est pas encore à la hauteur du soutien nécessaire pour cette transition”, commente Cécile Détang-Dessendre, directrice de recherche Inrae. Une nouvelle version de la PAC est attendue pour 2028.

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