Boeing : la mort d’un lanceur d’alerte replonge l’avionneur dans la tempête

Boeing : la mort d’un lanceur d’alerte replonge l’avionneur dans la tempête

Il n’avait que 62 ans et aurait pu couler une retraite paisible après trente-deux ans de bons et loyaux services. Mais John Barnett en a décidé autrement. Cet ancien salarié de Boeing a été retrouvé mort ce samedi 9 mars dans son camion stationné sur le parking de l’hôtel dans lequel il résidait depuis plusieurs jours. Selon les informations du coroner du comté de Charleston, John Barnett aurait lui-même mis fin à ses jours.

Afin de comprendre le contexte dans lequel s’inscrit ce geste ultime, rembobinons le fil pour atterrir début mars en Caroline du Sud. Une semaine avant de se donner la mort, John Barnett pose ses valises dans la ville portuaire de Charleston avec en ligne de mire, un projet : celui de faire tomber Boeing, dont il n’a cessé de dénoncer les manquements.

Une dernière semaine rythmée par les interrogatoires

Retraité depuis plus de six ans, le sexagénaire attend toutefois ce mois de mars pour effectuer une déposition officielle à l’encontre de son ancien employeur. S’en suivent alors une série d’interrogatoires, conduits alternativement par ses propres avocats et ceux de Boeing. John Barnett accuse notamment son ancien employeur de s’être livré à une stratégie de dénigrement. Pis, d’avoir entravé sa carrière en raison des problèmes qu’il aurait signalés alors qu’il travaillait encore pour le compte de Boeing.

Car dès son arrivée en 2010 en tant que responsable qualité à l’usine de North Charleston où sont fabriqués les 787 Dreamliner – des avions ultramodernes utilisés principalement sur les lignes long-courriers – John Barnett interpelle sa hiérarchie. Le constat qu’il dresse est le suivant : pour satisfaire les délais, les ouvriers sont soumis à une trop forte pression, au point de compromettre la sécurité des engins. Les signalements se succèdent et sont effectués auprès de différents individus. Mais tous resteront lettre morte.

Des révélations embarrassantes

Crâne, une fois parti à la retraite, John Barnett décide de sortir du silence en 2019 pour endosser le costume de lanceur d’alerte. Auprès de nos confrères de la BBC, il se confie et dévoile un florilège de défaillances résultant de manquements imputables à Boeing. Tous sont de nature à compromettre gravement la sécurité des passagers. John Barnett révèle par exemple que des pièces de mauvaise qualité ont été sciemment montées sur certains appareils. Ce, afin d’éviter des retards sur la chaîne de production.

Mais ce n’est pas tout. Au même moment, l’ancien salarié rend public les résultats de tests internes effectués sur les systèmes d’oxygène d’urgence au sein des Boeing 787. Et les résultats sont accablants : 1 masque respiratoire sur 4 ne fonctionnerait pas. Face à ces allégations, Boeing adopte une stratégie consistant à nier en bloc. Aux accusations portant sur le matériel à oxygène, la société explique par exemple avoir “identifié certaines bouteilles d’oxygène qui ne se déployaient pas correctement”, mais réfute les avoir installées sur des avions.

Boeing, une chute sans fin

Manque de chance, une étude réalisée deux ans plus tôt par l’autorité de régulation américaine de l’aviation civile, la Federal Aviation Administration (FAA), confirme notamment la présence d’une cinquantaine de pièces “non conformes”. Selon les informations de nos confrères de la BBC, la FAA aurait même exhorté Boeing à prendre des mesures correctives. Pour le constructeur américain, ce rapport amorce une lente descente aux enfers qui semble aujourd’hui plus que jamais, sans fin.

Début février, après une succession de mauvaises nouvelles, Boeing se retrouve contraint de faire son mea culpa. Devant ses salariés réunis pour l’occasion, le patron de la branche d’aviation commerciale du constructeur, Stan Deal, reconnaît “un problème de non-conformité sur certains fuselages du 737”. Le dirigeant tente de rassurer, promet que ces dysfonctionnements sont “sans danger” pour les avions en service. Mais les couacs en cascade des dernières années pèsent désormais lourd. Comme le veut la formule consacrée, “le mal est fait”, et ces révélations ne sont pas de nature à rassurer le grand public. Davantage encore, après les deux accidents mortels survenus à quelques mois d’intervalle en octobre 2018 et en mars 2019. Quinze jours plus tard, l’entreprise annonce le départ du responsable du programme 737 MAX.

Une descente aux enfers qui n’en finit pas, comme le démontre le dernier épisode en date. Le constructeur américain se retrouve de nouveau épinglé par la FAA. Après l’incident survenu en janvier lorsqu’une porte de sortie de secours s’est détachée d’un Boeing 737 max en plein vol, le gendarme de l’aviation a réalisé un audit de six semaines. Et les résultats de l’inspection sont sans appel : dans son rapport, dévoilé ce lundi par le New York Times, la FAA dresse un portrait au vitriol du géant de l’aéronautique, avec plus d’une “dizaine de problèmes constatés tout au long du processus de fabrication chez l’avionneur et l’un de ses principaux fournisseurs”. Le constructeur américain n’est décidément pas au bout de ses peines.

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