Cheveu étrangleur, syndrome de Kiss, noyade sèche… Les mythes et vérités de la pédiatrie

Cheveu étrangleur, syndrome de Kiss, noyade sèche… Les mythes et vérités de la pédiatrie

Non, le cheveu étrangleur n’est pas une légende urbaine. Même avec son nom loufoque, à peine plus évocateur que celui consacré par les pédiatres de “syndrome du tourniquet”. Ce fameux cheveu étrangleur, qui peut aussi être un simple fil échappé d’un vêtement, ne va pas étouffer votre bout de chou. En revanche, il peut facilement s’entortiller (d’où le tourniquet) autour de l’un de ses minuscules orteils, où il va couper la circulation du sang. Le mignon arpion virera alors au rouge puis au violet-bleu et deviendra très douloureux. A ce stade, un passage par le bloc opératoire s’imposera sûrement…

Les jeunes parents peuvent en revanche se rassurer : la noyade sèche, la crise de foie et le coup de froid sont bien des mythes. Gudule, 5 ans, a peut-être bu la tasse à la piscine, mais il ne mourra pas dans son sommeil dans les jours qui viennent : il s’agit là d’une vraie fake news. Si Jérémie mange trop de chocolat, il sera barbouillé à coup sûr, il vomira peut-être, mais le foie n’a rien à voir là-dedans. Quant au froid, il facilite certes la vie des virus, mais ce sont bien ces microbes qui nous rendent malades et pas, à eux seuls, la baisse des températures ou l’oubli du bonnet.

“Les parents ne savent plus distinguer le vrai du faux”

“Toutes ces idées fausses, et bien d’autres, vous n’imaginez pas à quel point elles sont répandues. Dans ma pratique d’urgentiste en pédiatrie, j’en entends tous les jours”, soupire le Dr Nicolas Winter. Plus connu sous le pseudo de “To be or not Toubib”, le trentenaire, star des réseaux sociaux (280 000 followers sur Facebook, 60 000 sur Instagram…) et des librairies (65 000 exemplaires pour son premier ouvrage, Urgences or not urgences, éd. First, 2021), a décidé d’y consacrer un livre, Le bisou magique existe-t-il ? (First, en librairie le 14 mars). “Face à la masse d’informations disponibles sur les réseaux, les parents ne savent plus distinguer le vrai du faux, au point, parfois, de tomber dans le piège des pseudo-thérapies”, constate-t-il.

De fait, du syndrome pied-main-bouche au spasme du sanglot en passant par le Babi (bébé aux besoins intenses) et le syndrome de Kiss, il y a de quoi s’y perdre. Spoiler : les deux premiers sont bien réels. L’un est viral et donne de la fièvre et des éruptions cutanées, l’autre est un malaise lié à une émotion trop forte. Impressionnant mais bénin. S’ils sont très populaires sur les forums de discussion de mamans, le Babi et le Kiss, en revanche, sont de véritables maladies imaginaires, inventées de toutes pièces par “des personnages peu recommandables, qui n’hésitent pas à tirer profit de la détresse des parents pour leur proposer des ‘soins’ inutiles”, déplore Toubib.

Source de bonheur immense, l’arrivée d’un enfant n’en plonge pas moins ses géniteurs dans des océans de fatigue, de perplexité et d’angoisse. Un boulevard pour les fake meds, ces pratiques qui prétendent soigner alors que leur efficacité n’a jamais été démontrée. “A cette période de la vie, elles reposent toutes sur les mêmes ressorts, très liés aux spécificités de la petite enfance”, constate Nicolas Winter. La longue liste des maux bénins des bébés – coliques, reflux, difficultés d’endormissement… – sont liés à l’immaturité des systèmes nerveux et digestif des nouveau-nés. Seuls remèdes, les câlins et la patience. Mais à une époque où le temps médical se raréfie, les soignants n’ont pas toujours la disponibilité pour rassurer les parents, et certains peuvent vite se sentir perdus. “Or, plus les adultes sont anxieux, plus leur bébé va aller mal, car les tout-petits sont des éponges à émotions”, rappelle l’auteur. C’est sur cette faille que jouent les pseudo-thérapies et ceux qui les pratiquent, de l’ostéopathie pédiatrique à l’aromathérapie en passant par l’homéopathie. En ayant l’impression de faire quelque chose pour leur enfant, les parents vont se sentir rassurés, ils vont aller mieux… et leur bébé aussi.

Des pratiques aux conséquences parfois graves

Finalement, n’est-ce pas là l’essentiel ? Non, répond l’urgentiste, bien placé pour voir les conséquences délétères de ces pratiques, par ailleurs souvent aussi coûteuses qu’inutiles : retards de soins, mauvais diagnostics, voire mise en danger de l’enfant. Le collier d’ambre, qui n’a souvent d’ambre que le nom, n’a jamais calmé le mal de dents. Mais comme le tour de lit ou le couchage sur le ventre, il est un facteur de risque de mort subite du nourrisson. La section du frein de langue, de plus en plus souvent pratiquée, y compris par des chiropracteurs ou des ostéopathes alors qu’ils ne sont pas des professionnels de santé, n’est justifiée que dans un tout petit pourcentage de cas – et certainement pas pour calmer les coliques, les reflux ou les torticolis. En revanche, elle comporte des risques, comme tout geste médical : hémorragie, ulcération, diminution de la motricité de la langue…

Quant au fameux syndrome de Kiss (un acronyme allemand traduit en français par “troubles de symétrie induits de la jonction cranio-cervicale”), dont aucune étude sérieuse n’a jamais prouvé l’existence comme le rappelle Toubib, son “traitement” consiste en une manipulation cervicale du bébé. “Elle est dangereuse, souligne-t-il. Elle peut provoquer des malaises graves, des apnées, une dissection des artères cervicales et donc un AVC et le décès.”

Sans aller jusqu’à des situations aussi dramatiques, l’urgentiste constate trop souvent une mauvaise prise en charge des petits patients qui arrivent dans son service. “Des parents viennent pour une toux ‘qui ne passe pas’ chez leur enfant, en nous disant que l’homéopathie ou la naturopathie n’a pas fonctionné et qu’ils ne savent plus quoi faire. En réalité leur gosse est asthmatique et un traitement au salbutamol et aux corticoïdes inhalés vont le soulager”, indique-t-il.

Pour autant, le médecin n’est pas dupe : les soins et les prescriptions inutiles ne sont pas l’apanage des pseudo-thérapeutes. “Pour être crédibles dans notre combat contre les pratiques non conventionnelles, nous, docteurs, devons aussi faire notre autocritique”, souligne le Dr Winter, qui consacre une partie de son livre aux médicaments inutiles. Les sirops contre le mal de gorge, par exemple. “C’est le passage d’une substance en déglutissant qui apaise la douleur, rien que de déglutir la salive va faire du bien”, note-t-il. Bonne nouvelle pour les enfants : un bonbon à sucer fera l’affaire. Idem pour les sirops contre la toux : aussi inefficaces que les précédents, et potentiellement néfastes. “La toux étant un réflexe, notamment pour évacuer les saletés que vous avez dans les bronches, c’est une très mauvaise idée de vouloir l’arrêter”, assure l’auteur.

Des croyances qui ont la vie dure

A oublier aussi, les anti-vomitifs (en cas de gastro, un peu de sucre et des solutés de réhydratation éviteront le plus souvent un passage aux urgences) et les sprays anti-inflammatoires pour déboucher le nez. “Je passe mon temps à alléger les ordonnances. Contre le rhume, les seuls traitements sont le lavage de nez au sérum physiologique, le paracétamol et la patience”, rappelle l’urgentiste. Les prescriptions à rallonge de l’hiver procèdent de la même logique que les “fakes médecines” : donner l’impression de faire quelque chose pour rassurer les parents et, accessoirement, fidéliser sa patientèle… En oubliant, au passage, un principe déontologique de base : le respect des données de la science pour soigner leurs malades.

Toutes ces mauvaises habitudes et autres fausses croyances se révèlent d’autant plus difficiles à déraciner qu’elles sont souvent simples à comprendre, et donc à colporter. Elles se transmettent alors de génération en génération. Ainsi en va-t-il de l’hydrocution, que vos parents vous assénaient certainement déjà pour vous empêcher de sauter à l’eau sitôt sorti de table, au prétexte que vous étiez en pleine digestion. Et bien, la fin du repas n’a rien à voir là-dedans. Une perte de connaissance juste après un petit plongeon reste toujours possible, mais elle est due à l’écart de température entre l’air (chaud) et l’eau (fraîche), qui peut causer une constriction des vaisseaux et un malaise vagal. L’excuse n’en permet pas moins aux parents de se reposer après un bon repas, sans avoir à surveiller les marmots qui barbotent. Voilà pourquoi vous la ressortirez probablement à votre tour à vos enfants…

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