Coups bas, “affaire Bayou”… Chez les écolos, le supplice de Marie Toussaint avant les européennes

Coups bas, “affaire Bayou”… Chez les écolos, le supplice de Marie Toussaint avant les européennes

Est-ce la nostalgie qui s’empare de Marie Pochon, quand la députée Europe Écologie-Les Verts se remémore cette journée de septembre 2018 passée à plancher sur le balcon de la tête de liste écologiste aux européennes, alors militante associative ? “J’étais au RSA, Marie Toussaint au chômage, et à ce moment, avec l’association Notre Affaire à Tous, on décide d’organiser la première Marche pour le climat.” Une première d’une longue série de rassemblements entre 2018 et 2019 permettant de mettre au centre de l’agenda politico-médiatique la lutte contre le réchauffement climatique jusqu’à l’avant-veille du scrutin européen de 2019. Tout n’allait pas si mal, et EELV avait réalisé un score de 13,47 % ; une surprise malgré un contexte favorable. La veille de l’appel aux urnes, la candidature menée à l’époque par Yannick Jadot était créditée d’à peine 8 % des intentions de vote.

“Les thèmes de la campagne ne sont pas les nôtres”

La candidate le sait, l’issue du scrutin risque, cette fois-ci, d’être bien moins favorable aux écologistes. Faute de dynamique dans les sondages – la liste de Marie Toussaint oscille entre 6 et 8 % dans les études d’opinion – c’est dans ce souvenir que déposent leurs espoirs stratèges et autres cadres écologistes. “Les européennes sont des échéances qui se jouent beaucoup plus tard que d’autres élections, relativise l’élue de la Drôme. Nous n’avons rien changé par rapport à 2019, tandis que le climat politique à, lui, totalement changé. On a le vent de face”, admet-elle. Mais en politique, faire face aux vents contraires est une chose ; boxer dans le vide est bien plus dommageable. Et pour l’heure, la candidate écologiste rencontre bien des difficultés à faire entendre sa voix dans le débat public. “C’est une campagne où les thèmes abordés ne sont pas les nôtres”, souffle un stratège de la campagne. Voilà donc l’eurodéputé Benoît Biteau nostalgique, lui aussi, en repensant à la crise des agriculteurs – séquence en janvier dernier où sa formation était pourtant sous le feu des critiques. “On nous a beaucoup tendu le micro. Et on a pu développer notre projet agricole, avec des propositions concrètes qui étaient jusqu’alors passées inaperçues.”

Pour exister coûte que coûte dans un début de campagne marqué par la montée en puissance à gauche du candidat pour le Parti socialiste Raphaël Glucksmann (entre 11 et 13 % dans les sondages), Marie Toussaint continue de miser sur ses fondamentaux. Tous ses fondamentaux, rien que ses fondamentaux. Jeudi 28 mars, la candidate écologiste, en compagnie de la patronne d’EELV Marine Tondelier, annonce vouloir “reprendre le contrôle stratégique des entreprises fossiles européennes les plus émettrices”, en rachetant la majorité de leurs actions via la Banque européenne de développement ; “LA mesure du programme”, telle que la présente son équipe. La tête de liste a profité du centenaire du géant pétrolier Total Energie pour organiser un spectacle “artiviste” – une performance artistique militante, bien connue du microcosme vert – sur le parvis du siège parisien de la multinationale. “Produire toujours plus, vous avez pensé que ça nous rendrait plus fort, plus heureux mais nous nous sommes trompés”, crache une enceinte défectueuse. Sur les réseaux sociaux, l’étrange chorégraphie d’une vingtaine de bonshommes vêtus de noirs est tournée en ridicule.

Car comme trop souvent dans cette campagne, la forme éclipse le fond. À l’instar du meeting de lancement, en décembre dernier, où d’aucuns avaient peu goûté à la séance de “Booty Therapy”. Et cette question qui taraude une partie des Verts : à qui parle réellement Marie Toussaint ? “À chaque fois qu’elle aborde des sujets structurants, personne ne l’entend, constate un cadre. Glucksmann défend les droits humains, Manon Aubry (LFI) la souveraineté de la France. Et nous on est coach en développement personnel.” “Elle essaye d’instaurer un rapport différent à la politique. C’est intéressant, mais est-ce que, dans le paysage politique actuel, c’est facile ? Non. C’est même compliqué”, souffle Sandrine Rousseau. Si la stratégie avait pour objectif de faire connaître la candidate, elle s’avère pour l’heure peu fructueuse, challengée à gauche par la notoriété des têtes de listes déjà à ce poste en 2019. “Il y a un prix d’entrée à assumer, et il faudra essayer de faire monter sa notoriété”, philosophe l’eurodéputé et ancien secrétaire national EELV David Cormand, alors que certaines huiles vertes s’inquiètent d’un score en deçà de 5 %, synonyme de disparition à Strasbourg.

Remous internes

Si la perspective d’un scénario catastrophe ne suffisait pas, voilà le parti englué depuis le début de la semaine dans l’éternelle “Affaire Bayou”. Mardi, l’ancien secrétaire national d’EELV a rendu sa carte après avoir appris l’ouverture d’une enquête externe par le parti suite à la plainte de son ex-compagne pour “violences psychologiques”. “Un gros caillou dans la chaussure” pour la présidente du conseil fédéral des écologistes Nadine Herrati. “Si on commence à parler de nous pour la méconduite morale de Bayou plutôt que pour les européennes… “. Un nouvel angle d’attaque, pour Sandrine Rousseau : “Je pense que Marie Toussaint doit affirmer que son projet est également une Europe de l’égalité femme-homme.”

Agacée par la situation, la candidate tente tout de même de se donner de l’air. Après avoir enregistré plusieurs départs, entre autres l’ancien eurodéputé Damien Carême et le parlementaire Aurélien Taché vers la liste de Manon Aubry, Marie Toussaint est parvenue à débaucher Flora Ghebali. L’entrepreneuse engagée dans la transition écologique est présentée comme “100 % Glucksmann compatible” ; et a d’ailleurs tenté de le rejoindre. Si son inclusion dans la liste doit encore être validée par le conseil fédéral du parti, l’ancienne communicante de François Hollande à l’Élysée et ex-soutien d’Agnès Buzyn aux municipales de Paris en 2020 est perçue, par sa potentielle future colistière Bénedicte Monville, comme “une influenceuse de l’écologie bourgeoise”, symptôme d’un “tropisme centriste” de la direction. Certains ont même remonté son arbre généalogique, pour alimenter un indigne procès en impureté. “Son père, Eric Ghebali, est journaliste et homme d’affaires (mis en examen dans l’affaire Elf), membre du PS, fondateur de SOS Racisme avec Julien Dray, et proche de François Hollande”, pouvait-on lire dans une boucle interne de militants. Si même entre écologistes, on ne fait plus preuve de “douceur”…

Mais la critique ramène au dilemme existentiel du parti, et de sa tête de liste : quelle place occupe l’écologie populaire, dont se revendique Marie Toussaint, dans cette campagne très urbaine ? Une tentative peu fructueuse avait été lancée, en janvier, quand elle avait présenté sa campagne européenne contre la “pauvrophobie”, concept qui avait parfois suscité les railleries à gauche, y compris en interne. Vite, il reste deux mois pour harmoniser le récit, prouver que l’on existe. Et tenter, pourquoi pas, de convaincre.

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