De l’Elysée à Matignon : ces “conseillers éducation” qui œuvrent dans l’ombre

De l’Elysée à Matignon : ces “conseillers éducation” qui œuvrent dans l’ombre

Avant même sa nomination officielle, le 14 mars, Gilles Halbout arpentait déjà les bureaux de la rue de Varenne depuis quelques jours. L’ex-recteur de l’académie Orléans-Tours, qui endosse sa nouvelle fonction de chef du pôle “éducation, enseignement supérieur, jeunesse et sports” au cabinet du Premier ministre Gabriel Attal, est le dernier à rejoindre la liste très fermée des “conseillers éducation”, ou “éduc”, qui travaillent dans l’ombre de l’Elysée, de Matignon et du ministère de l’Education nationale. Un choix qui n’a rien d’étonnant puisque cet ancien recteur de Mayotte, après avoir été un grand acteur du paysage universitaire montpelliérain, connaît aussi bien l’univers scolaire que celui du supérieur. “Mais il doit sans doute son poste à la relation de confiance qu’il a nouée avec Gabriel Attal durant le passage de ce dernier Rue de Grenelle”, analyse un fin connaisseur des rouages de l’hôtel de Rochechouart.

L’actuel Premier ministre avait suivi de près les actions menées par Gilles Halbout dans l’académie d’Outre-mer. Ses travaux “font pour moi référence”, confiait-il au Monde le 6 octobre. “Lorsqu’il était recteur de Mayotte, Gilles Halbout, réputé pour son pragmatisme, ses capacités d’échange et de dialogue, a entrepris des politiques intéressantes, comme la mise en place d’un manuel unique de lecture. Il a aussi beaucoup mis l’accent sur les enseignements fondamentaux dans les petites classes”, explique Caroline Pascal, cheffe de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. Avec Gilles Halbout, Stanislas Dehaene, le président du Conseil scientifique de l’Education nationale et Edouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire, elle a fait partie des quatre coordinateurs de la récente mission “Exigence des savoirs”. Cette vaste consultation a été le point de départ de la volée de réformes lancée dans la foulée par Gabriel Attal : instauration de groupes de niveau, facilitation du recours au redoublement, projet de labellisation de manuels ou encore création de classes prépa-lycées pour les élèves qui échoueront au brevet.

Autant de mesures que la nouvelle locataire de la Rue de Grenelle, Nicole Belloubet, doit mettre en œuvre avec l’appui de ses conseillers. Une poignée de collaborateurs ministériels œuvrent discrètement en coulisses. Brigitte Hazard, ancienne inspectrice territoriale puis générale de l’Education nationale, vient de rejoindre le cabinet de la ministre au poste stratégique de “conseillère spéciale”. C’est elle qui, dans le cadre de la réforme du bac, fut chargée du suivi de la mise en œuvre du projet d’évaluation et du contrôle continu de 2021 à 2023. “Brigitte Hazard, grâce à ses années d’inspection, a une très bonne connaissance du terrain et des personnels, que ce soient les professeurs, les inspecteurs et les personnels de direction. Elle sera en mesure d’analyser finement les réactions de ces différents acteurs au moment de la mise en œuvre des mesures”, assure encore Caroline Pascal.

“Le pouvoir d’influence est entre les mains de leurs patrons”

Des qualités jugées essentielles à l’heure où certaines réformes, comme celle qui concerne l’instauration de groupes de niveau en 6e et en 5e, en français et en mathématiques, dès la rentrée scolaire prochaine, suscitent une levée de boucliers de la part des syndicats et d’une partie des enseignants. La récente valse des ministres – quatre en moins de deux ans ! – a également complexifié la tâche des conseillers. “Les polémiques qui se sont enchaînées après l’arrivée d’Amélie Oudéa-Castéra ont fortement perturbé le dialogue social. Mais on sait bien que le ministre ne fait pas tout. Le plus important, ce sont ses collaborateurs, explique l’un des représentants du SNPDEN-Unsa, syndicat majoritaire des chefs d’établissement. Or durant cette période de flottement qui a suivi le départ de Gabriel Attal, nous avons pu maintenir le lien et poursuivre nos échanges avec certains membres du cabinet, dont Valentine Tchou-Conraux, qui était là depuis le mois d’août 2023.” La conseillère sociale de la Rue de Grenelle est une ancienne principale de collège et proviseure de lycée… qui exerça la fonction de secrétaire académique du SNPDEN-Unsa de Lyon avant de rejoindre le ministère.

A ses côtés œuvre également la conseillère pédagogique Cécile Laloux. Arrivée il y a un an, cette ancienne inspectrice de l’Education nationale avait intégré la Direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) en 2017, où elle fut responsable de la mission de prévention et de lutte contre les violences en milieu scolaire. Un sujet qui fait aussi partie des grandes priorités du moment. En mars 2023, elle devient directrice de cabinet du recteur de Reims, Olivier Brandouy, qui occupe aujourd’hui le poste de de directeur adjoint du cabinet de Nicole Belloubet. Un autre conseiller a posé ses cartons rue de Grenelle en janvier : David Foltz, en charge du respect des valeurs de la République et du Service national universel. Deux autres dossiers d’importance dont hérite cet ancien élève de l’ENA qui fut coordinateur pédagogique de la classe préparatoire égalité des chances de l’école entre 2018 et 2020. En juin 2022, le haut fonctionnaire avait rejoint le cabinet d’Amélie Oudéa-Castéra au ministère des Sports et des Jeux olympiques. C’est lui qui a, entre autres, coordonné le colloque sur les vingt ans de la loi de 2004 qui s’est tenu au lycée Denis-Diderot dans le XIXe arrondissement de Paris le 15 mars.

Quel est le réel pouvoir d’influence de ces éminences grises et leur marge de manœuvre face à un président de la République qui a fait de l’éducation son “domaine réservé”, et à un Premier ministre qui a “emmené à Matignon la cause de l’école” et dont il confiait dans un entretien à l’AFP, le 13 mars, qu’il n’avait “jamais perdu le fil” ? “Le pouvoir d’influence est plutôt entre les mains de leurs patrons respectifs, qui dictent la ligne politique. Pour résumer, ce sont eux qui leur passent le bon de commande. Aux conseillers ensuite de veiller à l’avancée des réformes, de définir le rythme de l’action, d’identifier les éventuels risques et blocages sur le terrain, mais aussi de faire le lien avec les parlementaires”, explique un ancien conseiller qui connaît toutes les subtilités de la fonction.

Entre l’Elysée et la Rue de Grenelle, Eric Thiers peut assurer le lien. Le directeur de cabinet de Nicole Belloubet était en effet auparavant… conseiller d’Emmanuel Macron, chargé des institutions. Le signe que le président de la République garde plus qu’un œil sur l’éducation. Le 11 mars, Thiers animait d’ailleurs un “brief” à destination de la presse… sur la loi sur la fin de vie, un des dossiers suivis lors de son précédent poste. Il demeure dans les meilleurs termes avec son ancien employeur.

Les postes de conseillers à l’Elysée font plus que jamais partie des plus convoités, alors que l’éducation est régulièrement brandie comme l’une des priorités du quinquennat par Emmanuel Macron. Constance Bensussan, ancienne directrice de cabinet d’Aurore Bergé au ministère des Solidarités et des Familles, a hérité du titre de conseillère spéciale social, éducation et lutte contre les inégalités en décembre. Cette ex-inspectrice générale des affaires sociales est une habituée des lieux puisqu’elle avait déjà occupé le poste de conseillère inclusion, égalité entre les femmes et les hommes et citoyenneté sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. A l’Elysée, elle forme désormais un duo avec Anne Laude, autre conseillère éducation, enseignement supérieur, recherche et innovation. L’ancienne doyenne de faculté de droit, d’économie et de gestion de l’université Paris-Descartes entre 2014 et 2019, qui occupa par la suite les fonctions de rectrice de Limoges, a rejoint le Palais il y a quatre ans. “La durée renforce sa capacité à agir. C’est un atout de taille pour une fonction comme celle-ci”, souffle l’un de ses anciens collaborateurs. Tout comme la discrétion.

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