Déficit public : l’impossible remise en cause des niches fiscales brunes

Déficit public : l’impossible remise en cause des niches fiscales brunes

Ces derniers mois, le gouvernement est passé maître dans l’art de la correction. Début mars, il a revu à la baisse sa prévision de croissance pour 2024, de 1,4 % à 1 %. Un scénario encore très éloigné du taux de 0,6 % attendu par l’OCDE et la Commission européenne. Les économistes, eux, n’en finissent plus d’afficher leur scepticisme. Mercredi 10 avril, Bercy a dévoilé son programme de stabilité financière, qui sera envoyé prochainement à Bruxelles, dans lequel il réévalue son anticipation du déficit public à 5,1 % du PIB cette année, contre 4,4 % précédemment. Résultat, l’exécutif va devoir trouver 10 milliards d’euros supplémentaires pour combler cet écart. Comme un air de déjà-vu ? Un mois auparavant, Bruno Le Maire avait déjà dû présenter un plan de coupes budgétaires du même montant. Rebelote en 2025, où il est pour l’instant question de 20 milliards d’euros d’économies à gratter du côté de l’Etat, de la sécurité sociale et des collectivités locales. Le chantier s’annonce complexe.

Parmi les premières pistes étudiées pour la fin de l’année, on évoque la mise à contribution des ministères à hauteur de 5 milliards d’euros, mais aussi des collectivités locales – qui pour la plupart ont déjà bouclé leur budget – dans l’espoir de récupérer 2,5 milliards d’euros. Pour 2025, le gouvernement s’attaquera-t-il enfin aux niches brunes, ces avantages fiscaux jugés néfastes pour l’environnement ? En septembre dernier, le ministre de l’Economie déclarait qu’il souhaitait engager “une bascule de la fiscalité brune vers la fiscalité verte”. Six mois plus tard, rien n’a bougé. Bercy donne rendez-vous à la rentrée prochaine. À l’occasion du projet de loi de finances 2024-2025, le débat pourrait revenir sur la table. “Bruno Le Maire est le énième ministre de l’économie à se proposer de réduire les niches fiscales brunes. C’est un serpent de mer. L’OCDE le recommande depuis des décennies. La difficulté n’est pas spécifiquement française”, souligne Matthieu Glachant, économiste de l’environnement.

Les renoncements du gouvernement

BTP, agriculture, transports… Plusieurs secteurs profitent de ces niches fiscales brunes. Dans le bâtiment, les entreprises ont par exemple droit à un tarif réduit pour le gazole non routier utilisé par les machines et engins de chantier. Une ristourne évaluée à 1,2 milliard d’euros en 2023. Ce même carburant bénéficie d’une détaxe pour les agriculteurs afin de faire tourner leurs tracteurs. Montant de la facture : 1,3 milliard d’euros en 2023.

Sauf qu’avec le projet de loi de finances 2023-2024, cet avantage était censé tout bonnement disparaître. C’était sans compter la crise agricole, qui a conduit le gouvernement à faire machine arrière, pour les exploitants seulement. Furieux de ce traitement différencié, les professionnels de la construction ont fini par obtenir que les entreprises de moins de 15 salariés puissent bénéficier d’un remboursement de la hausse de la taxe. “La conjoncture n’est jamais favorable pour raboter des niches. Economiquement cela serait judicieux, mais politiquement c’est très compliqué parce que ce sont des secteurs qui ont été très affectés par la hausse des prix de l’énergie”, pointe Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste de BDO France. Concernant le transport de poids lourds, l’avantage fiscal sur le gazole, dont l’addition est estimée à 1,25 milliard d’euros par an pour les finances publiques, n’a finalement pas été supprimé. “Le gouvernement craint la réaction des secteurs concernés : les routiers qui bloquent les autoroutes, les chauffeurs de taxi le périphérique”, justifie Matthieu Glachant.

Un montant sous-évalué

Tous les experts rappellent avec malice cette phrase attribuée à l’ancien député LR Gilles Carrez : “Dans chaque niche, il y a un chien qui mord”. Au total, l’Etat évalue à 7 milliards d’euros la manne que représentent ces avantages contraires aux impératifs environnementaux. Ce montant pourrait se révéler largement sous-évalué en raison des choix de l’Etat de qualifier telle ou telle niche de “brune”. “Il est tout à fait normal qu’il y ait controverse car le concept n’est pas totalement clair”, reconnaît Matthieu Glachant.

Lorsqu’une niche fiscale brune est supprimée, les économies pour les finances publiques ne sont cependant pas automatiques. “Quand vous voulez en éteindre une, vous êtes obligés d’apporter une compensation, à court terme, au secteur qui en bénéficiait. Ce n’est pas avec cela que l’on va boucler le budget 2025”, déplore Damien Demailly, directeur général adjoint de l’Institut de l’économie pour le climat. Il note néanmoins une progression de la problématique dans le débat public, malgré le peu d’avancées : “Il faut continuer à mettre le sujet sur la table. Lorsque la conjoncture économique sera mieux orientée et que les secteurs concernés seront prêts à absorber les hausses de taxes, c’est à ce moment-là qu’il faudra agir”.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *