Dette : la France peut-elle encore tirer sur la corde ?

Dette : la France peut-elle encore tirer sur la corde ?

Combien de temps encore vont-ils fermer les yeux ? Les économistes tirent la sonnette d’alarme, l’exécutif gesticule pour colmater les brèches, les journaux en font leur une… Les marchés, eux, semblent étrangement indifférents au dérapage des finances publiques françaises. Et les décisions des agences de notation, surveillées comme le lait sur le feu par le monde politico-médiatique, n’y ont jusqu’ici rien changé.

Alors que Moody’s et Fitch ont maintenu inchangées leurs opinions sur la dette française, les yeux vont désormais se tourner vers S & P, qui rendra son verdict le 31 mai. D’autant que le plus influent des trois arbitres américains a déjà passé la note de la France en perspective négative fin 2022. Mais même si une dégradation intervenait, de AA à AA-, il y a fort à parier que les investisseurs garderaient leur flegme.

Pas d’impact sur l’écart de taux

Pour juger de leur disposition vis-à-vis de la dette française, on regarde le spread entre l’OAT et le Bund. En bon français, l’écart entre le taux d’intérêt à dix ans des obligations souveraines tricolores par rapport à celles de l’Etat allemand. Or, comme l’expliquait à L’Express Aymeric Poizot, responsable de l’agence Fitch, “depuis deux ans, en Europe, le coût de la dette n’est absolument pas influencé par les notations mais entièrement par la politique monétaire de la Banque centrale européenne. D’ailleurs, souvenez-vous, lors de la dégradation de la notation de la France l’an dernier, le spread par rapport à l’Allemagne n’a pas bougé.” En avril 2023, Fitch avait abaissé la note souveraine française de AA à AA-.

De là à dire que le gouvernement a toute latitude pour conserver une trajectoire délétère, sûrement pas. Depuis plusieurs semaines, il a fallu avaler quelques couleuvres, à commencer par la révélation d’un déficit public de 5,5 % en 2023, bien supérieur aux attentes. Pour 2024, Bercy escompte un taux de 5,1 %, qui n’a rien de réjouissant. Les projections pour les années suivantes, jusqu’à 2,9 % en 2027, paraissent, elles, relever de la méthode Coué. Quant à la dette publique, elle devrait encore s’alourdir jusqu’en 2024, avant un repli très modeste, pour atterrir à 112 % en 2027, contre 110,6 % en 2023. Le FMI se montre plus pessimiste, tablant sur 114 % dans trois ans.

Stabiliser la dette pour être crédible

Ce ne sont pas les seuls points d’interrogation. “Le nouveau programme de stabilité du gouvernement a une crédibilité limitée et comporte des incohérences”, souligne Eric Dor dans une tribune pour le site suisse Allnews. Le directeur des études économiques de l’IESEG School of Management pointe notamment l’objectif de réduction du déficit primaire – c’est-à-dire hors charge de la dette -, qui paraît hors de portée. “Les dépenses publiques de cette année sont déjà réduites de 10 milliards d’euros par un décret d’annulation de crédits de février. L’année prochaine, c’est une réduction supplémentaire de 25 à 30 milliards d’euros que le gouvernement compte réaliser.” Eric Dor enfonce le clou : “Il est généralement reconnu que pour garder la confiance des marchés financiers, un gouvernement doit assurer au moins des perspectives crédibles de stabilisation de la dette publique en pourcents du PIB nominal.”

Alors, jusqu’où la France pourra-t-elle se permettre de dériver ? Attention au retour de bâton, prévient Olivier Klein, professeur de macroéconomie financière à HEC et directeur général de Lazard Frères Banque. “Les marchés financiers ne réagissent pas de façon graduelle aux détériorations économiques ou à celles de la dette publique. Ils peuvent ne pas s’en préoccuper, focalisés sur d’autres événements. Et puis d’un coup, de façon brutale et simultanée, la sanction peut tomber.” Et de rappeler qu’avant 2010, année de l’explosion de la crise des dettes souveraines, les écarts de taux entre les pays européens n’avaient jamais été aussi bas. Il a suffi d’une étincelle venue de Grèce pour changer la donne dans toute la zone euro.

Le “papier” français prisé des Japonais

Pour l’heure, les agences paraissent encore bien indulgentes à l’égard d’un élève France peu méritant. Certains pays d’Europe, plus vertueux, se voient attribuer de moins bonnes notes. Mais l’Hexagone a pour lui une dette particulièrement liquide, très prisée des investisseurs en quête d’actifs sans risque, pour diversifier leur portefeuille. La plus sûre reste, certes, celle émise outre-Rhin. Mais l’Allemagne a l’inconvénient de sa vertu : cet endettement plus faible nécessite peu d’émissions de nouveaux titres, environ quatre fois moins que Paris cette année. Les acheteurs internationaux de dette souveraine en zone euro se tournent donc vers la grande économie qui s’en approche, la France. “Les Japonais notamment ont un vrai appétit pour cette dette, à commencer par le fonds de retraite et Japan Post Bank”, précise Christopher Dembik, conseiller économique de la société de gestion Pictet AM.

“Notre pays a une économie solide, dotée d’entreprises qui sont des fleurons mondiaux, avec quelques secteurs forts, une stabilité politique et institutionnelle, et un euro qui le protège, reconnaît Olivier Klein. Mais on ne peut pas se contenter de la situation actuelle. Cette dérive longue aboutira à une rupture, laquelle peut intervenir avec un événement qui ne sera pas forcément très significatif, mais qui inversera le sentiment des marchés”.

A en croire Robert Ophèle, il n’y a pas encore péril en la demeure. Toutefois, le haut fonctionnaire, passé par l’Autorité des marchés financiers et la Banque de France, met en garde : “Si la dette française passe en simple A, certains investisseurs vont regarder le papier de façon différente.” Réduction des dépenses de fonctionnement, augmentation des recettes par la hausse des impôts, chacun à son avis sur la méthode à adopter pour éviter le pire. “Mais il faut aussi travailler sur le dénominateur, à savoir le PIB”, insiste Olivier Klein. Une accélération de la croissance économique portée par l’investissement, voilà une tendance que les agences verraient d’un bon œil.

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