“Economie de guerre” : en quoi consistent les “réquisitions” pour accélérer l’aide à l’Ukraine ?

“Economie de guerre” : en quoi consistent les “réquisitions” pour accélérer l’aide à l’Ukraine ?

Sébastien Lecornu hausse le ton contre les industriels. Le ministre des Armées a annoncé ce mardi 26 mars qu’il n’était pas impossible que l’Etat leur impose des réquisitions pour accélérer la production militaire, notamment dans le cadre du soutien à l’Ukraine face à la Russie. “Pour la première fois, je n’exclus pas d’utiliser ce que la loi permet au ministre et au délégué général pour l’armement (DGA) de faire, c’est-à-dire si le compte n’y était pas en matière de cadence et de délais de production, de faire des réquisitions le cas échéant ou de faire jouer le droit de priorisation”, a affirmé le ministre lors d’une conférence de presse inédite en présence de tous les chefs d’état-major.

Paris enjoint l’industrie de défense française à produire davantage et plus rapidement pour répondre aux besoins de son armée et assurer dans la durée son soutien à l’Ukraine. Et pour cela, les réquisitions, “l’outil le plus dur de notre arsenal juridique”, des mots de Sébastien Lecornu, font désormais partie des possibles réponses envisagées.

Le cadre des réquisitions élargi depuis 2023

Les réquisitions peuvent concerner des personnels, des stocks ou des outils de production, ou encore des biens et services, qui seraient saisis par l’Etat pour des raisons stratégiques vitales. Inscrites au sein du Code de la défense sans modification depuis 1959, le vote de la loi de programmation militaire à l’été dernier a modifié leur possible mise en œuvre.

Désormais, au lieu d’être seulement applicable en cas de mobilisation sur le territoire, une réquisition peut désormais être décidée par le gouvernement “en cas de menace, actuelle et prévisible, pesant sur les activités essentielles à la vie de la Nation, à la protection de la population, à l’intégrité du territoire” ou bien “de nature à justifier la mise en œuvre des engagements internationaux de l’Etat en matière de défense”.

En d’autres termes, la réquisition ne concerne plus seulement les menaces sur le territoire français, mais vise également à s’adapter à tous les défis et menaces qu’impliquent les conflits modernes, que ce soit “le cyberespace (paralysie des réseaux), l’espace (destruction de satellites), les mers (destructions de câbles sous-marins et gazoducs)” et d’autres, expliquait le professeur de droit public Jean-Paul Markus à Franceinfo en juillet dernier.

“Ce n’est pas l’outil prioritaire”

Ces réquisitions ne sont pas encore à l’ordre du jour, et font surtout figure de dernier recours. “Ce n’est pas l’outil prioritaire au moment où je vous parle”, a voulu tempérer Sébastien Lecornu. “Mais je vous dis que ça existe parce que ça crée de la lisibilité aussi pour tout le monde, il n’y aura pas de surprise”.

Mais cela ressemble bien à un vrai coup de semonce contre les industriels, qui pourraient d’ailleurs déjà se voir visés par de premières restrictions. Le ministre des Armées envisage ainsi, “dans les toutes prochaines semaines”, d’imposer à certains d’entre eux des niveaux minimaux de stocks, de manière à produire plus rapidement, ou à accorder la priorité à la commande militaire face aux besoins civils.

“Si parfois les cadences de production sont trop lentes, c’est parce qu’il y a une tentation de faire du flux tendu et de ne pas avoir suffisamment de stocks de matières premières ou de composants”, ce afin d’éviter d’immobiliser de la trésorerie pour constituer ces stocks, a-t-il justifié.

Les missiles Aster en ligne de mire

Dans sa ligne de mire notamment, les délais de livraisons du missile antiaérien de longue portée Aster produits entre la France et l’Italie par MBDA, qui sont trop longs au regard du ministre. “La question de prioriser chez les sous-traitants de MBDA pour le missile Aster la commande militaire, en priorité sur une commande civile, est quelque chose qui est évidemment complètement regardable”, a-t-il appuyé.

Paris a passé une commande de 200 missiles Aster en janvier 2023 pour 900 millions d’euros, leur livraison étant prévue en 2026. Or ces missiles, qui auparavant “n’étaient pas utilisés ou à des fins d’entraînement tout juste” selon lui, sont fournis à l’Ukraine pour défendre son ciel et ont été tirés à 22 reprises contre des drones et missiles houthistes depuis le mois de décembre par les deux frégates françaises déployées en mer Rouge. “Désormais, on a des contrats opérationnels concrets sur lesquels nous avons une sollicitation”, a-t-il martelé, annonçant une “commande anticipée” de 200 missiles Aster supplémentaires. Reste désormais à savoir si ces coups de pression seront oui ou non suivis d’actes.

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