En Chine, l’incroyable envol de la SF malgré la censure

En Chine, l’incroyable envol de la SF malgré la censure

Une immense étoile de 60 000 mètres carrés posée sur un lac. Dessiné par le prestigieux cabinet de Zaha Hadid, le nouveau musée de la science-fiction chinois attire le regard. Pour la première fois, la Chine a accueilli, en octobre dernier à Chengdu, la 81e convention mondiale de la science-fiction, la Worldcon, le plus grand événement dédié à ce genre culturel. Une façon de reconnaître le poids pris par l’empire du Milieu dans un univers autrefois dominé par l’Occident, et plus spécialement le monde anglo-saxon.

Cet événement illustre la transformation, en quatre décennies, d’un genre littéraire considéré comme politiquement suspect, devenu l’un des produits d’exportation culturelle les plus fameux de Chine. Le porte-étendard de cette fièvre est l’auteur Liu Cixin, dont la trilogie Le Problème à trois corps, publiée en Chine en 2006, a conquis un prix Hugo dès sa parution en anglais en 2015 et un public international comprenant des fans comme Barack Obama ou Mark Zuckerberg. Sa cote devrait encore monter avec la sortie, il y a quelques semaines, d’une adaptation Netflix à gros budget. Neuf millions d’exemplaires des trois volets ont été vendus dans le monde depuis 2015.

Ce mouvement n’a pas été un long fleuve tranquille. La science-fiction a prospéré en Chine dans la première moitié du XXe siècle, un essor alimenté par l’intérêt pour les nouvelles technologies. Mais il a été emporté avec tant d’autres genres littéraires “bourgeois” pendant la Révolution culturelle. L’ouverture au monde dans les années 1980 a fait naître une nouvelle génération d’auteurs comme Zheng Wenguang et Ye Yonglie, quand le programme spatial chinois a pris son envol. Les fanzines se multiplient alors, dont Kehuan shijie (“Le Monde la science-fiction”) à Chengdu, à l’origine de cette organisation de la Worldcon dans la capitale du Sichuan. Pékin brise ce deuxième élan en lançant une campagne nationale de nettoyage de la pollution spirituelle pour anéantir l’influence de l’Occident décadent. La science-fiction est accusée d’être contraire à l’idéologie officielle. A la même période, comme le montre le livre The Politics of Cultural Capital de Julia Lovell, le pays se demande pourquoi aucun écrivain chinois n’a jamais remporté de prix Nobel de littérature. La victoire de l’écrivain en exil Gao Xingjian, en 2000, ne change rien à l’affaire.

Marche forcée vers une économie de la connaissance

L’appétit pour la SF a continué de grandir au tournant du siècle, porté par les succès des taïkonautes et le premier vol dans l’espace de Yang Liwei. Mais les lecteurs consommaient essentiellement des ouvrages occidentaux, de Philip K. Dick à Arthur C. Clarke. Tout a changé lorsque Liu Cixin, alors ingénieur dans une centrale à charbon, publie son roman en feuilleton dans Kehuan shijie en 2006. Le livre est édité en 2008, et rapidement les autorités perçoivent l’engouement du public. Le genre est encouragé sous toutes ses formes : cinéma, jeux vidéo, livres, magazines et expositions. Un centre de recherche officiel est même créé en 2020. Kehuan shijie atteint un tirage de 400 000 exemplaires, et, en 2019, une autre adaptation cinématographique de Liu Cixin, The Wandering Earth (“La Terre vagabonde”), génère la somme astronomique de 673 millions de dollars au box-office chinois. La science-fiction fait désormais partie intégrante de la marche forcée vers une économie de la connaissance.

Il serait pourtant abusif de parler d’une science-fiction chinoise. Le genre est varié. La nouvelle Folding Beijing, qui remporte un prix Hugo en 2015, s’attaque à la question des inégalités sociales dans une version surréaliste de la capitale chinoise, divisée en trois strates. Des écrivaines plus jeunes et formées à l’étranger, comme Regina Kanyu Wang et Tang Fei, explorent des thèmes comme la fluidité des genres et les crises environnementales. Mais l’ombre du gouvernement n’est jamais loin. Des e-mails dévoilés par les journalistes spécialisés Chris M. Barkley et Jason Sanford suggèrent que le comité du prix Hugo a disqualifié d’office des auteurs non chinois mais ayant des liens familiaux avec la Chine, comme Rebecca Kuang et Jay Zhao, respectivement américaine et canadienne, parce qu’il craignait d’offenser Pékin. La science-fiction peut-elle prospérer dans une société où la pensée est surveillée ? C’est toute la question.

Robin Rivaton est directeur général de Stonal et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)

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