Energie, défense et modèle social : comment résoudre l’équation impossible de l’Europe

Energie, défense et modèle social : comment résoudre l’équation impossible de l’Europe

Une seule question, déterminante pour l’avenir de l’Europe, devrait agiter le débat public pendant cette campagne européenne : comment sortir de ce qui ressemble aujourd’hui à un triangle d’incompatibilités – préserver le modèle social européen d’un continent vieillissant, construire une véritable défense des Vingt-Sept et réconcilier transition énergétique, croissance et développement d’acteurs puissants dans le numérique ? Commençons par une bonne nouvelle : à quelques semaines des élections européennes, certains tentent de répondre à cette question d’une complexité sans nom, avec des propositions et un agenda détaillés.

Enrico Letta, ancien président du Conseil italien et aujourd’hui député, par ailleurs à la tête de l’Institut Jacques-Delors, s’y attelle dans le rapport “Beaucoup plus qu’un marché” qu’il vient de présenter à Bruxelles sur l’approfondissement du marché unique. C’est aussi le cas de Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne et ex-chef du gouvernement italien, qui s’apprête à rendre son rapport sur la compétitivité européenne. La mauvaise nouvelle ? La campagne européenne, comme toujours centrée sur les enjeux politiques nationaux, au lieu d’aborder les enjeux à l’échelle européenne, les ignore largement. Triste paradoxe quand la résolution de cette équation est obligatoire sous peine de voir se poursuivre le décrochage de l’Europe par rapport aux Etats-Unis et sa dépendance aux technologies vertes chinoises.

L’inconnue de cette équation se résume en un mot : l’”argent”. Car transformer ce triangle d’incompatibilités en un cercle vertueux passe par notre capacité collective à nous, Européens, à investir massivement. C’est ainsi qu’il faut comprendre les références croissantes, dans le débat public, à la mobilisation de l’épargne, à l’union des capitaux, ou encore à un emprunt commun européen. Et ce débat ne va cesser de prendre de l’ampleur. Non pas parce que l’on découvre qu’investir dans la défense ou l’énergie coûte cher, mais en raison de trois facteurs – géopolitique, commercial et financier – qui compliquent la donne en même temps qu’ils nous condamnent à agir très vite : l’incertitude quant à la volonté des Etats-Unis, à long terme, d’assurer la sécurité de l’Europe ; l’offensive commerciale de la Chine, en train d’inonder le marché mondial de panneaux solaires et autres technologies vertes à prix cassés ; enfin, la fin de l’argent gratuit, avec la remontée des taux d’intérêt.

La crise énergétique a tué la demande

Pour la transition énergétique, ce dernier paramètre change tout. Pourquoi ? Qu’ils s’appellent énergie nucléaire, hydroélectricité, énergie solaire ou éolienne, les moyens de produire de l’électricité bas carbone ont une caractéristique : ils requièrent d’importants investissements initiaux en capitaux, alors que leurs coûts de fonctionnement sont faibles. Soit l’exact inverse des énergies fossiles, dont les coûts fixes sont relativement faibles par rapport aux coûts d’exploitation.

La hausse du coût de financement des énergies bas carbone ne serait pas un problème dans un contexte de forte demande d’électricité. C’est là que le bât blesse : la violence de la crise énergétique a tué la demande européenne, qu’il s’agisse de la “mauvaise” (l’énergie gaspillée quand les prix sont durablement faibles) ou de la “bonne”, celle qui consiste à électrifier des usages naguère fossiles (voitures électriques, pompes à chaleur ou procédés industriels). Dans ce contexte, les prix de marché de l’électricité s’effondrent et, avec eux, la rentabilité des actifs de production bas carbone existants ou à venir : le nucléaire et les renouvelables sont aujourd’hui dans le même bateau. Financer de tels projets devient une gageure… à moins d’agir à la bonne échelle et de changer les règles du jeu pour les investisseurs.

Si techniques soient les débats portés par Enrico Letta, Mario Draghi ou Emmanuel Macron, dans son discours foisonnant de la Sorbonne, le 25 avril, ils sont pourtant essentiels. L’Europe est compliquée ? Oui, beaucoup trop. Le monde est complexe ? Sans doute. Mais l’enjeu est simple, darwinien : s’adapter ou subir.

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