Energie : gigaoctets cherchent petits réacteurs nucléaires

Energie : gigaoctets cherchent petits réacteurs nucléaires

“Vous êtes ingénieur nucléaire ? Bienvenue chez Microsoft !” Depuis plusieurs mois, le réseau professionnel LinkedIn voit régulièrement passer des offres d’emploi de la firme de Seattle, qui est en train de constituer une véritable équipe d’ingénierie nucléaire. Directrice des technologies nucléaires, directrice de “l’accélération du développement nucléaire”, cette équipe – très féminine : chapeau, Microsoft ! – a une feuille de route claire, garantir “la faisabilité technique et l’intégration optimale des systèmes SMR et des microréacteurs“.

Il y a quelques années, quand un géant du numérique parlait d’énergie, c’était généralement d’énergies renouvelables. D’ailleurs, le secteur reste un gros investisseur en la matière, décarbonation oblige. Avec le basculement vers l’énergie nucléaire, c’est autre chose qui se joue, au-delà du sujet environnemental : les Gafam ne veulent plus seulement être verts, ils veulent aussi sécuriser des quantités gigantesques d’électricité, disponibles en permanence.

C’est un fait connu : le numérique est un secteur électro-intensif. L’Agence internationale de l’énergie vient de le rappeler dans son bilan mondial sur l’électricité : la consommation d’électricité des centres de données, de l’intelligence artificielle (IA) et du secteur des cryptomonnaies pourrait doubler d’ici à 2026. Après une consommation mondiale estimée à 460 térawattheures en 2022, la consommation totale d’électricité des seuls centres de données pourrait atteindre plus de 1 000 térawattheures en 2026, demande à peu près équivalente à la consommation d’électricité du… Japon. De McKinsey au MIT, les estimations à 2030 donnent le tournis : aux Etats-Unis, la consommation des centres de données doublerait ; au niveau mondial, ils absorberaient jusqu’à 21 % de l’approvisionnement en électricité.

Une réserve : dans le passé, on s’est beaucoup trompé sur les projections de consommation de ces fameux data centers. Entre 2006 et 2018, leur consommation d’énergie n’a augmenté que de 6 %, alors que la puissance de calcul et la capacité de stockage ont été multipliées respectivement par 6 et 25. La raison ? Les gains d’efficacité. Toute industrie digne de ce nom est dans une démarche constante d’optimisation de l’utilisation de ses ressources – celle-là aussi.

Une demande d’énergie délirante

Reste que l’irruption de l’intelligence artificielle ravive les pronostics les plus délirants sur l’explosion à venir de la demande énergétique du secteur. D’ici à 2030, l’IA pourrait représenter 3 ou 4 % de la demande mondiale d’électricité. Déjà, elle absorbe de 10 à 15 % de la consommation d’énergie de Google, soit 2,3 térawattheures par an. Un fantasme de plus autour de cette révolution ? Peut-être, mais le fait est que les IA dites apprenantes sont des élèves gourmandes en données et en stockage : leur éducation coûte cher en électricité.

Dans ce contexte, micro et petits réacteurs modulaires ne peuvent que séduire le secteur. Pour l’heure, ces installations nucléaires sont encore un pari technologico-industriel : seront-elles au rendez-vous à temps pour répondre à l’explosion de la demande d’électricité, quand les industriels les plus optimistes – ou les plus audacieux ? – tablent sur 2030 pour voir émerger les têtes de série ? L’enjeu est de taille. L’Etat du Wisconsin envisage de retarder la mise à l’arrêt des centrales à charbon pour accueillir un nouveau centre de données. Et il n’est pas le seul.

Une idée pour réduire ce risque : et si on entraînait les intelligences artificielles à travailler sur leur propre efficacité énergétique ? C’est le but des chercheurs du Human Brain Project, qui ont trouvé pour ce faire le meilleur professeur dans la nature : le cerveau humain, la centrale énergétique la plus efficace au monde ! Notre cerveau utilise environ 20 watts pour fonctionner, “ce qui équivaut à la consommation d’énergie de votre seul écran d’ordinateur en mode veille. Avec ce budget serré, de 80 à 100 milliards de neurones sont capables d’effectuer des milliards d’opérations, qui nécessiteraient la puissance d’une petite centrale hydroélectrique si elles étaient réalisées artificiellement”. Notre secret ? L’évolution. La conclusion s’impose : vive nous !

Cécile Maisonneuve est fondatrice de Decysive et conseillère auprès du centre Energie et Climat de l’Ifri.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *