Européennes : le RN ou nous, Renaissance rejoue le tube de 2019

Européennes : le RN ou nous, Renaissance rejoue le tube de 2019

Gabriel Attal aime les Questions au gouvernement (QAG). Le jeune Premier ministre y déploie son aisance oratoire, et tance ses adversaires de formules ciselées. Ce mardi 27 février, la foudre s’abat sur Marine Le Pen, coupable d’avoir épinglé les propos d’Emmanuel Macron sur l’envoi de troupes occidentales en Ukraine. “Vous défendiez une alliance militaire avec la Russie il y a seulement deux ans […] Il y a lieu de se demander si les troupes de Vladimir Poutine ne sont pas déjà dans notre pays”, lance le chef du gouvernement à l’ex-patronne du Rassemblement national (RN). L’ex-ministre de l’Education avait soigneusement préparé sa saillie la veille. La France insoumise est en revanche épargnée. Et qu’importe si sa mise en garde d’une “cobelligérance” épouse la rhétorique frontiste.

La Macronie a désigné son adversaire en vue des européennes : le RN, rien que le RN. Dans un scrutin frappé par l’abstention, l’exécutif mise sur le péril nationaliste pour mobiliser son socle électoral. Il y a urgence. La liste Renaissance est devancée de 9 à 12 points par celle menée par Jordan Bardella dans les enquêtes d’opinion. Le 9 juin se dessinera autant le nouveau visage du Parlement européen que la fin du mandat d’Emmanuel Macron. “Si on finit dix points derrière, le quinquennat est terminé”, tranche un cadre Renaissance.

Monopole de l’engagement européen

En 2019, le parti présidentiel avait tutoyé le score de l’extrême droite en mettant en scène l’opposition entre “progressistes” et “nationalistes”. On ne change pas une recette qui gagne. Cinq ans plus tard, la même dialectique s’observe : le camp présidentiel s’arroge le monopole de l’engagement européen, dénonce le projet europhobe du RN et invisibilise les autres concurrents. “Tout cela peut apparaître tactique mais le combat est celui-là, assure un ministre. Celui d’une Europe forte et souveraine face au repli.” Cette stratégie est déployée avec un mélange de ruse et de sincérité. L’argument est rodé : ce duel est le choix des Français ; nous composons avec le réel, mais ne le créons pas.

Chacun entraîne l’autre sur son terrain. Le RN nationalise le scrutin et exige déjà une dissolution de l’Assemblée nationale en cas de victoire de Jordan Bardella. Le mouvement présidentiel cherche, lui, à l’européaniser. Ce qui l’arrange. La majorité peine à contrer le RN dans l’Hexagone. La loi immigration la prive-t-elle d’oxygène ou légitime-t-elle son discours ? Faut-il convoquer des arguments moraux face à Marine Le Pen ou cibler son manque de crédibilité ?

Ces dilemmes stratégiques fracturent Renaissance. Pas l’attachement à l’Europe, angle d’attaque consensuel contre l’extrême droite. “L’Europe éteint les fractures dans notre camp, de la sensibilité de gauche à celle de droite, admet Clément Beaune, député de Paris et ex-ministre délégué chargé de l’Europe. Cela nous rassemble et crée un clivage collectif face aux autres.” Et puis, le RN a un bilan. L’heure est venue de demander des comptes au vainqueur de 2019. Renaissance insiste sur l’indigence de l’œuvre législative de Jordan Bardella à Strasbourg, lui qui peut incarner l’alternance en France. Et valorise en parallèle ses conquêtes, comme la dette commune ou la régulation des plateformes du numérique.

Le conflit ukrainien en toile de fond

L’environnement international nourrit cette stratégie. La guerre en Ukraine ravive les procès en complaisance du RN envers Vladimir Poutine, que la majorité compte alimenter. Elle dépeint l’extrême droite en agent de l’étranger, perméable aux influences extérieures. L’Europe, en bouclier face à l’ogre russe. “Cette élection va déterminer notre mode de vie pour les vingt ou trente prochaines années, défend le député et directeur de campagne de Renaissance Pieyre-Alexandre Anglade. Démanteler l’Europe comme le souhaite le RN, c’est condamner la France à l’isolement et à la soumission aux autres grandes puissances.”

Le discours a une traduction nationale. Un débat, suivi d’un vote, sera organisé dans les prochaines semaines au Parlement sur la question d’un soutien à Kiev. L’Assemblée devrait examiner au printemps une proposition de loi du député Renaissance Sacha Houlié visant à “prévenir les ingérences étrangères” en France. Manière d’interroger l’ADN frontiste, son patriotisme. Cette dose de manichéisme est assumée en interne. “La peur est un levier de mobilisation”, admet un stratège. L’électorat macroniste, plus âgé que la moyenne, est jugé sensible à ces sombres perspectives.

Nous deux, ou rien. Les autres listes sont réduites au rang de spectateurs. Condamnées à observer l’affrontement des deux blocs. Comme en 2019, Renaissance les oublie. Elle ne leur oppose qu’un doux mépris, garantie de leur anonymat. Raphaël Glucksmann ? Au mieux un “lanceur d’alerte”, au pire un “influenceur”. “Parler de lui et le désigner comme cible, c’est le faire monter”, prévient un dirigeant Renaissance.” François-Xavier Bellamy ? Tout juste se contente-t-on de fustiger son conservatisme sociétal.

“Ils font le remake de 2019, et c’est plutôt bien joué”

La droite observe avec résignation cette stratégie d’ignorance. Elle réprouve une manœuvre “cynique”… mais constate son efficacité. “Ils font le remake de 2019, et c’est plutôt bien joué”, note un hiérarque LR. “Macron a intérêt à la bipolarisation”, juge en privé Eric Ciotti. Le patron des Républicains (LR) a ainsi boycotté la deuxième édition des rencontres de Saint-Denis, agacé par la mise en valeur de Jordan Bardella par l’Elysée après la première.

Le scénario est écrit. Les acteurs peuvent entrer sur scène. L’eurodéputée Valérie Hayer a été intronisée ce jeudi soir tête de liste Renaissance lors d’un bureau exécutif du parti. “Dynamique”, “bosseuse”, “appréciée des militants”… La majorité se confond en éloges au sujet de la présidente du groupe Renew, issue d’une famille d’agriculteurs et passée par l’UDI. Sa faible notoriété fait écho à celle de sa prédécesseure Nathalie Loiseau. Elle devra pourtant trouver un espace politique entre Gabriel Attal – présenté comme “l’arme anti-Bardella lors de sa nomination à Matignon – et Emmanuel Macron. Un ministre sourit : “Qui peut douter que les vraies têtes de liste seront ces deux-là ?”

Macron, un dernier “combat électoral”

Le président de la République était monté au front lors des dernières européennes pour venir en aide à Nathalie Loiseau. Rien n’a changé. N’a-t-il pas ciblé le projet de “décroissance et de bêtise” du RN au Salon de l’agriculture ? Ou tancé le parti de “l’appauvrissement collectif” lors de sa conférence de presse du 16 janvier ? “C’est son dernier combat électoral. Je pense qu’il va prendre une place centrale dans la campagne. Et plus qu’on peut imaginer”, anticipe un pilier Renaissance.

Cinq ans ont passé. Le jeune chef de l’Etat est devenu un président en fin de règne. L’hyperactif président, lesté d’une lourde impopularité, ne s’est jamais remis de sa défaite aux législatives. Sa force d’attraction décroît à mesure que son crépuscule approche. “C’est davantage une campagne de mobilisation sur un projet que d’affrontement comme lors d’une présidentielle, tempère le député de l’Ardèche et ancien ministre Olivier Dussopt. Qui mieux que lui porte l’image du projet européen en France ?” Macron l’Européen ou Macron président : Renaissance a intérêt à ce que la première image l’emporte.

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