Européennes : “Mélenchon voit les musulmans comme un gisement électoral”

Européennes : “Mélenchon voit les musulmans comme un gisement électoral”

Jeunes, ouvriers, employés, ou simples déçus du macronisme… Près d’un électeur sur deux ne s’est par rendu aux urnes lors des élections législatives de 2022. Ces abstentionnistes sont partout, et sollicités par tous. Avant chaque élection, chefs de partis et stratèges se plient à un véritable remue-méninges : dénicher la recette qui permettra de rallier un ou plusieurs segments de ce bloc protéiforme. Et ce, parfois au prix d’un “Quoi qu’il en coûte” électoral.

Président du Comité d’histoire parlementaire et politique, l’historien Jean Garrigues décrypte pour L’Express le phénomène de l’abstentionnisme, son carburant, ainsi que ses conséquences sur les résultats des élections européennes du 9 juin prochain.

L’Express : Contrairement aux idées reçues selon lesquelles le taux de participation chute lors des élections intermédiaires, on constate que celui des élections européennes a été relativement stable jusqu’en 2014, et a même considérablement augmenté en 2019. Peut-on espérer une nouvelle hausse en 2024 ?

Jean Garrigues : Ce n’est pas ce que laissent entendre les sondages qui prédisent un taux de participation avoisinant 45 %. Par ailleurs, si on peut se réjouir de l’augmentation de la participation entre 2014 et 2019, celle-ci reste nettement inférieure aux niveaux de l’âge d’or des élections européennes. En 1979, le taux de participation dépassait les 60 % !

Pour la première fois en 2022, les élections législatives ont connu une abstention plus forte que les européennes de 2019. Comment interpréter ce précédent ?

Deux éléments expliquent la démobilisation lors du scrutin des législatives. Premièrement, le manque de vitalité de la campagne présidentielle de 2022, tronquée par le déclenchement de la guerre en Ukraine. Deuxièmement, la lassitude suscitée par la réélection d’Emmanuel Macron. À noter que contrairement aux municipales et aux régionales où les enjeux sont essentiellement locaux, et aux législatives qui arrivent quelques mois seulement après l’élection suprême, les européennes sont une occasion d’exprimer un mécontentement à mi-mandat présidentiel sur des thématiques qui relèvent du pouvoir central. De fait, on peut imaginer que la participation au scrutin de juin prochain soit supérieure à celles des législatives.

Qu’est-ce qui alimente l’abstentionnisme ?

La défiance vis-à-vis des élus cristallise de façon structurelle l’abstentionnisme. Mais cette abstention est également le fruit de déceptions : l’électeur ne croit plus en la capacité du politique à résoudre les problèmes qu’il rencontre au quotidien. Il y a aussi des facteurs propres aux européennes : la méconnaissance du rôle du Parlement européen, le déficit de notoriété des têtes de liste qui manquent d’incarnation. Et puis il y a cet antieuropéanisme latent. Depuis une vingtaine d’années, les europhiles et europhobes s’affrontent dans une bataille de communication. Aujourd’hui, le discours qui tend à faire de l’Union européenne le bouc émissaire de toutes nos crises internes semble l’emporter.

Paradoxalement, la défiance vis-à-vis de l’Union européenne constitue tout à la fois un vecteur d’abstentionnisme et un remède à cet abstentionnisme : la méconnaissance des institutions européennes et de leurs acteurs peut démobiliser. À l’inverse, les discours eurosceptiques de certains partis qui promettent une “autre Europe” galvanisent, et motivent l’électorat contestataire qui exprime une importante défiance vis-à-vis du pouvoir national et européen, à se rendre aux urnes.

Quel est le profil de l’abstentionniste ?

L’abstentionnisme diminue avec l’âge : les plus participatifs aux élections demeurent les séniors. Plus on descend dans l’échelle de l’âge, plus on observe un instinct de non-participation. Constat auquel il faut lier les cultures de classes. L’abstention croît avec la pauvreté et décroît avec la richesse. Le profil type de l’abstentionniste est ainsi un jeune au chômage ou qui vit avec de maigres revenus.

À qui profite l’abstentionnisme ?

Depuis quelques années, La France insoumise (LFI) et le Rassemblement national (RN) tentent de séduire à la fois les jeunes et les couches populaires. Or, comme évoqué précédemment, ce sont des catégories qui sont les plus enclines à bouder les urnes. L’abstentionnisme pénalise ainsi en priorité les partis qui cherchent à drainer ce type d’électorat, à savoir le RN, le PCF, et LFI. Les formations politiques qui se situent davantage au centre de l’échiquier politique – Renaissance, et dans une moindre mesure Les Républicains – sont donc les grands gagnants de l’abstentionnisme.

Les abstentionnistes peuvent-ils changer l’issue de l’élection ?

Une abstention plus forte des électeurs du RN minimiserait l’ampleur de la victoire de Jordan Bardella, et briserait la dynamique qui est censée mener Marine Le Pen à la victoire. Un sur-abstentionnisme des électeurs macronistes permettrait peut-être à la liste de Raphaël Glucksmann (Parti socialiste, NDLR) de devancer la liste conduite par Valérie Hayer (Renaissance, NDLR), ce qui aurait un véritable impact sur la recomposition de la gauche, légitimant la ligne anti-Nupes…

Pour quels partis cibler les abstentionnistes est-il une priorité dans ce scrutin ?

Sans aucun doute le RN et LFI. Le RN a par exemple compris que les jeunes issus de milieux défavorisés étaient des électeurs à prendre, d’où la stratégie de dédiabolisation et de rajeunissement incarnée par Jordan Bardella. De même, à Mayotte, plus de 71 % des électeurs se sont abstenus aux européennes en 2019, et près de la moitié des votants ont mis un bulletin RN dans l’urne. Il est donc fort à parier que la présence d’un candidat mahorais sur la liste de Jordan Bardella soit une manoeuvre pour capter de nouvelles voix dans le bassin d’abstentionnistes mahorais. De façon plus générale, toutes les formations politiques mettent en place des stratégies censées leur permettre de convaincre une partie des non-votants.

En 2019, Jean-Luc Mélenchon a débauché Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam, une ONG spécialisée dans la lutte contre les inégalités sociales et contre l’évasion fiscale. Cette année, sa prise de guerre est la militante pro palestinienne, Rima Hassan. Ce revirement peut-il s’analyser comme une stratégie pour capter davantage de voix parmi les abstentionnistes ?

Totalement. Il s’agit d’une stratégie conjoncturelle, étroitement liée à l’escalade des tensions au Proche-Orient, et à la montée de cette thématique dans le débat public français. L’idée est de s’aligner sur les thématiques qui mobiliseront un électorat peu engagé politiquement. LFI voit dans l’électorat musulman, très fortement marqué par l’abstentionnisme, un gisement électoral qui pourrait faire la différence dans le cadre d’un scrutin. Raison pour laquelle ils sont également très présents sur les questions liées à la laïcité.

Cette stratégie a-t-elle des chances de payer ?

En partant à la quête des abstentionnistes, les partis prennent le risque de perdre des électeurs acquis. Pour les Insoumis par exemple, une fraction de l’électorat de gauche pourrait être révulsée par les prises de position extrêmes de certains leaders LFI, et ainsi se rapprocher de partis au centre de l’échiquier politique : le Parti socialiste et Renaissance notamment. Les calculs stratégiques doivent ainsi être effectués en fonction de cette dialectique.

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