Face aux menaces de Xi Jinping, la rébellion du président philippin Marcos Junior

Face aux menaces de Xi Jinping, la rébellion du président philippin Marcos Junior

“Fils à papa” mais aussi fils de dictateur, le président Ferdinand Marcos Jr, dit “Bongbong Marcos”, est en train de se faire un nom sur la scène internationale. Au pouvoir depuis bientôt deux ans, le fils d’Imelda – connue en son temps pour ses 3 000 paires de chaussures – et de Ferdinand Marcos (autocrate de 1965 à 1986) a choisi de ne plus se taire face aux provocations répétées des garde-côtes chinois qui violent régulièrement l’espace maritime de son pays, les Philippines. Le dernier incident remonte au 23 mars sur Second Thomas Shoal, un atoll situé au sud des îles Spratleys, où est échouée la carcasse d’un navire de guerre rouillé, le Sierra Madre, placé là par Manille en 1999.

Depuis un arbitrage international de 2016, ce grand récif de corail appartient aux Philippines, qui y stationnent douze soldats pour marquer leur souveraineté. Cela n’empêche pas Pékin d’en revendiquer, encore et toujours, la propriété de manière de plus en plus agressive. Ce jour-là, un navire qui ravitaille les militaires philippins est attaqué par un imposant garde-côte chinois à coups de canon à eau, blessant trois d’entre eux. S’ensuivent des manifestations à Manille et une crise diplomatique entre les deux pays. Or cet acte hostile n’est que la énième intimidation d’une longue série, notamment dans l’archipel des Spratleys où la Chine a déjà bétonné 7 atolls pour en faire des îles artificielles habitées qui servent de bases militaires. Ailleurs en Mer de Chine – dont Pékin revendique 90 % de l’espace maritime – d’autres conflits opposent l’Empire du Milieu à Taïwan, au Vietnam, à la Malaisie ou encore à l’Indonésie.

Alors que son prédécesseur Rodrigo Duterte (2016-2022) s’était rapproché de Pékin (sans toutefois rompre les accords militaires avec Washington), Bongbong Marcos opère une spectaculaire volte-face. Le président de 66 ans s’est lancé dans une politique de “transparence” (“Transparency Strategy”) qui vise à faire la plus grande publicité possible aux provocations de Pékin. “Cette nouvelle façon de gérer le problème chinois est très appréciée par tous les pays de la région lesquels, jusqu’à présent, faisaient profil bas après chaque incident impliquant la Chine par peur de froisser Pékin”, remarque Cleo Paskal, spécialiste de l’Indo-Pacifique à la Fondation pour la défense des démocraties. “Même l’Inde observe de près la manière dont “Bongbong” se rebiffe contre Xi Jinping.”

Les Philippins campent d’autant plus fermement sur leur position qu’ils savent que le droit international est de leur côté depuis l’arbitrage juridique international de 2016. Les Chinois, eux, affirme, sans en apporter la preuve, s’appuyer sur des engagements verbaux de l’ex-président Duterte : du temps où il était au pouvoir, il aurait, affirme Pékin, fait des concessions territoriales. Seule certitude : à l’époque, la Chine lui faisait miroiter des investissements qui ne se sont jamais concrétisés. Vers la fin de son mandat, Duterte avait déjà commencé à prendre ses distances avec Xi Jinping. Au total, les Philippins apprécient la posture nationaliste de leur nouveau président, Fernidant Marcos Jr., qui, par ailleurs, effectue un spectaculaire double rapprochement avec les Etats-Unis et le Japon.

Des alliances contre la Chine

L’alliance historique entre Manille et Washington, liés par un accord de défense mutuelle depuis 1951, a en effet fait de grands pas en avant depuis l’arrivée de Bongbong au pouvoir grâce, notamment, à la décision de l’administration Biden de se réengager dans le Pacifique. Le 11 avril s’est ainsi tenu à Washington un sommet trilatéral inédit réunissant les Etats-Unis, le Japon (125 millions d’habitants) et les Philippines (115 millions d’âmes). “Les Philippins ont fait davantage de choses pour la défense de leur sécurité depuis un an et demi qu’ils ne l’ont jamais fait auparavant”, estime l’expert américain de la région Grant Newsham.

“L’autre grande surprise, poursuit cet ex-officier du renseignement qui a vécu à Honolulu (Hawaï) et à Tokyo (Japon), a été la forte prise de parole du Premier ministre japonais Fumio Kishida. Jamais auparavant le Japon ne s’était exprimé sur la Chine d’une manière aussi nette.” On assiste donc à un double réveil du Japon et des Philippines, qui – cela n’est pas étranger à ce “réveil” – se situent géographiquement au nord et au sud de Taïwan, le véritable épicentre des tensions en mer de Chine méridionale. “Il est inédit que trois pays en même temps désignent aussi clairement Pékin comme la source de tous les problèmes de la région”, note encore Newsham.

C’est peu dire que les choses bougent dans la région. Un accord bilatéral vient d’être signé entre Manille et Tokyo. Il s’ajoute à ceux que ces capitales asiatiques ont signés avec Washington. Par ailleurs, l’Inde vient de livrer des missiles supersoniques à longue portée aux Philippines afin de mieux se défendre contre le Chine. De son côté, le Japon pourrait prochainement rejoindre l’accord militaire Aukus liant l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. C’est du moins ce que ces trois alliés anglo-saxons ont affirmé début avril : Tokyo est désormais considéré comme un partenaire incontournable afin de contrer l’influence de la Chine dans l’Indo-Pacifique. Tokyo renforce d’ailleurs son aide à Manille en fournissant des garde-côtes, des conseils militaires et du renseignement.

Quant à Bongbong Marcos, il vient d’autoriser l’accès à quatre bases supplémentaires (trois au nord du pays) pour les avions américains, en plus des cinq déjà accessibles à l’US Air Force. Enfin, last but not least, les Philippins organisent du 22 avril au 10 mai les secondes manœuvres militaires annuelles géantes baptisées Balikatan (“épaule contre épaules”, en tagalog) réunissant 16 700 soldats de 14 pays, dont la France qui y participe avec sa frégate Vendémiaire partie de son port d’attache Nouméa (Nouvelle-Calédonie).

“Entre la Chine et les Philippines, les choses prennent une tournure inquiétante ; il y a d’ailleurs eu encore un accrochage maritime la semaine dernière”, relève le sinologue Jean-Pierre Cabestan, chercheur à l’Asia Centre de Paris. “Les Chinois, poursuit-il, sont fort mécontents du rapprochement Marcos-Biden parce qu’ils pensaient avoir mis les Philippines dans leur poche sous Duterte.” Or, comme l’a rappelé Joe Biden le 11 avril à Washington, le Traité de Défense mutuelle (MDT) de 1951 entre les Etats-Unis et les Philippines est “revêtu d’une cuirasse” (ironclad). Cabestan conclut : “Etant donné que le nationalisme se renforce partout – en Chine, au Japon, aux Philippines – et que personne n’est prêt à céder le moindre pouce de terrain, le risque d’escalade est bel et bien réel.”

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