Faut-il bannir les téléphones portables des collèges ? Ce qu’en dit la science

Faut-il bannir les téléphones portables des collèges ? Ce qu’en dit la science

Dans une interview donnée le 7 avril lors de l’émission Questions politiques, diffusée sur France Inter, la ministre de l’Education nationale Nicole Belloubet a déclaré que : “L’impact [des] réseaux sociaux pour les jeunes est absolument catastrophique”. Elle a ensuite mentionné la possibilité d’une “pause numérique” visant à interdire l’utilisation des smartphones dans les collèges.

La raison qui motive cette demande est la lutte contre les violences en ligne entre les adolescents. En 2018, l’Assemblée nationale avait déjà voté l’interdiction des téléphones portables dans les écoles et les collèges. Mais cette mesure n’a finalement pas été accompagnée du succès escompté. Une des raisons est qu’elle cible principalement l’usage des téléphones dans les activités d’enseignement, mais pas spécifiquement la possession d’un mobile.

Les violences en ligne ne s’arrêtent pas aux portes des collèges

Selon la ministre de l’Education nationale, une interdiction des smartphones dans l’enceinte des collèges éviterait les situations de violence entre adolescents, et en particulier le cyberharcèlement. Mais est-ce une bonne raison d’interdire les portables dans les collèges ?

Le cyberharcèlement se définit comme un comportement agressif intentionnel, répété, avec une inégalité de pouvoir entre les auteurs et les victimes et utilisant la technologie électronique comme support. Il se distingue notamment par la possibilité d’une intimidation constante, un degré d’anonymat des agresseurs et l’exposition à un public plus large conduisant à un embarras plus grand des victimes. A travers cette définition, on comprend aisément que le cyberharcèlement ne se limite pas au temps scolaire, il peut aussi intervenir le soir en dehors de l’établissement et les week-ends. Cette interdiction n’aurait donc qu’un effet limité sur ce point.

Autre problème de cette proposition, elle élude complètement le fait que le cyberharcèlement chez les adolescents est associé avec des formes de harcèlement scolaire, comme le montre une étude publiée en 2022 dans la revue Behavioral Sciences. Cette interdiction des téléphones dans les collèges n’aurait donc qu’un effet très relatif sur le cyberharcèlement. Il serait plus judicieux de travailler sur des interventions pour prévenir les situations de harcèlement scolaire.

Concernant spécifiquement le cyberharcèlement, plusieurs études recommandent d’avoir recours à des programmes éducatifs au sein des établissements impliquant la formation des parents, des méthodes disciplinaires cohérentes dans l’école, des règles de classe très claires sur ce sujet et une gestion qualifiée de la classe par les enseignants. En résumé, si l’interdiction des téléphones portables est envisagée comme solution pour atténuer les violences en milieu scolaire et réduire le cyberharcèlement, il est possible que les avantages qui en découlent soient très restreints.

Interdire pour limiter les distractions attentionnelles en cours

Pour autant, cette interdiction des téléphones portables dans les établissements est-elle une mauvaise mesure ? En fait, elle aurait quelques avantages trop peu mis en avant par Nicole Belloubet. Un constat intéressant se dégage des résultats de l’enquête Pisa 2024 : 30 % des élèves de 15 ans déclarent être distraits par l’utilisation d’appareils numériques en cours de mathématiques. De même, 27 % sont distraits par d’autres élèves qui en utilisent pendant les cours. Cela semble montrer que l’introduction des portables allumés dans les établissements, et en particulier dans les cours, génère des activités de multitasking chez les collégiens et les lycéens.

Le multitasking est une situation où une personne est capable d’effectuer simultanément et/ou concurremment deux ou plusieurs tâches nécessitant chacune un traitement cognitif spécifique. Par exemple avoir une activité principale – dans ce contexte, écouter le cours – et réaliser des tâches secondaires en parallèle, comme consulter les médias sociaux, répondre à ses messages instantanés ou regarder des vidéos. Le problème de cette activité est qu’elle est associée à des performances plus faibles en termes d’apprentissage, une augmentation des problèmes de mémoire et de régulation de l’attention (soit une plus grande fréquence de vagabondage de la pensée, de distraction de l’attention et de changements de tâches).

On peut donc supposer que l’adoption de règles plus strictes concernant l’usage des téléphones portables dans les établissements scolaires pourrait prévenir les interruptions dues aux sonneries de notifications pendant les cours, ou réduire la tentation pour les élèves de vérifier leurs appareils, ce qui perturbe non seulement leur propre concentration mais également celle des autres élèves qui voient du coin de l’œil leurs camarades se livrer au multitasking. Il y aurait donc un avantage à mieux contrôler l’usage des portables dans les établissements mais principalement lié au fait qu’ils peuvent perturber les cours.

Composer avec la nomophobie des adolescents

Cela justifie-t-il pour autant une interdiction complète des téléphones portables dans l’enceinte des collèges ? Difficile de répondre quand une partie de la population des adolescents doit composer avec la nomophobie, c’est-à-dire la peur, l’anxiété et l’inconfort de ne pas disposer d’un appareil mobile à un moment donné ou de ne pas avoir accès à un appareil en cas de besoin. Elle s’explique par la peur de ne pas pouvoir communiquer avec d’autres personnes ; la peur de ne pas pouvoir se connecter ; la peur ne pas pouvoir accéder immédiatement à l’information ; et la peur de renoncer au confort procuré par les appareils mobiles.

Une méta analyse conduite sur 52 études a relevé qu’environ 20 % des 47 399 individus composant l’échantillon présentaient des symptômes sévères de nomophobie. Elle montre également que cette sévérité est plus marquée chez les 12-18 ans. Ces individus présenteraient un certain nombre de vulnérabilités psychologiques comme un sentiment de solitude, du stress, de l’anxiété, des symptômes de dépression, de difficultés scolaires ou encore des problèmes de sommeil.

Une interdiction stricte des téléphones portables comporte donc le risque d’aggraver les difficultés de ces élèves, ces derniers pouvant parfois servir de béquille psychologique face à un mal-être. Sans compter que, si certains adolescents préfèrent maintenir des contacts virtuels plus que physiques, d’autres considèrent leur smartphone comme une extension de leur corps, et certains voient les activités qu’ils y mènent avec les applications comme un déterminant de leur identité.

Les établissements doivent faire un choix (éclairé)

Une revue systématique portant sur 22 études s’est intéressée aux impacts de l’interdiction des téléphones portables dans les établissements scolaires. Elle est en cours de publication mais les auteurs livrent déjà leur première conclusion dans un article publié par The Conversation. Ils se sont intéressés à l’impact de l’interdiction des téléphones mobiles dans les établissements scolaires sur le cyberharcèlement, les performances académiques et la santé mentale des élèves. Dans l’ensemble, les auteurs observent que les preuves en faveur de l’interdiction des téléphones portables dans les écoles sont faibles et peu concluantes. Les auteurs recommandent donc de laisser cette décision aux écoles, qui ont une expérience directe des avantages et des inconvénients d’une interdiction dans leur établissement, avec un ensemble de contraintes spécifiques (géographiques, pédagogiques et matérielles).

Aujourd’hui, les téléphones portables font partie intégrante de la vie des adolescents. C’est aussi un outil d’émancipation pour la jeunesse car il permet de créer des liens de socialisation, de s’informer et aussi d’affirmer sa propre identité. Au-delà des interdictions, il faut donc accompagner les adolescents pour qu’ils aient un usage approprié et responsable de leur téléphone portable y compris au sein des établissements scolaires. Cela passe par un accompagnement à l’hygiène numérique, c’est-à-dire savoir activer le mode concentration de son téléphone en classe (ou le mode avion) pour éviter la tentation du multitasking.

Les établissements doivent aussi poser très clairement des règles sur le bon usage des téléphones dans les établissements (dans les salles de cours et les autres espaces), proposer des mesures disciplinaires quand les portables sont utilisés pour perpétrer des violences en ligne et enfin favoriser les liens avec les centres de santé mentale quand les individus expérimentent une souffrance liée à leur téléphone.

Si vous êtes victime ou témoin de cyberharcèlement, vous pouvez appeler le 3018, sept jours sur sept de 9 heures à 23 heures, ou télécharger l’application 3018.

* Séverine Erhel est maître de conférences en psychologie cognitive à l’université Rennes II.

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