Football, extrême droite, indigénisme… “La Fièvre”, la série qui autopsie notre époque

Football, extrême droite, indigénisme… “La Fièvre”, la série qui autopsie notre époque

Il est des séries comme des films. Elles racontent, tantôt fiction, tantôt réalité. Il arrive, parfois, que les deux s’entremêlent et que le spectateur, ne sachant plus où il se trouve devant son écran, soit pris d’un vertige. Appelons cela “l’effet Benzek”, pour Benzekri, prénom Eric, le scénariste de La Fièvre, la nouvelle création de Canal + disponible depuis le 18 mars. On l’avait laissé show runner de Baron Noir, série politique d’une rare justesse sur le théâtre de la politique, sa décomposition et la montée en puissance des populistes ; le voici conteur de la fabrique de l’opinion.

Autopsie féroce de notre époque en six épisodes, la série nous plonge dans une tornade sociétale née d’un coup de tête infligé par Fodé Thiam, prodige du football français incarné par Alassane Diong, à son entraîneur. Un geste, et une insulte : “sale toubab” (“sale blanc”, en wolof). La machine médiatique se met en branle, les réseaux sociaux s’enflamment, l’opinion publique s’entredéchire, face à face, camp contre camp. Le politique n’a de prise sur rien. Les prémices d’une guerre civile. Ce n’était pourtant que du football diront certains, mais qu’est-ce qui fait encore nation sinon le ballon rond ?

L’héroïne joue les Cassandre

Dans cette “bataille française” de crispations identitaires, où nervis d’extrême droite, libéraux mollassons et indigénistes absolutistes entrent dans la danse, deux femmes, ex-amies, communicantes brillantes, s’affrontent à distance. Très à droite du ring, Marie Kinsky (Ana Girardot), chimère d’un Dieudonné et d’un Eric Zemmour, influenceuse, reine du stand-up, qui nourrit la contestation, et s’en délecte. Face à elle, Sam Berger (Nina Meurisse), française juive qui rêve de réparer la France, sûre de la comprendre avec ses études d’opinion, mais peine déjà à réparer sa propre vie. Deux alchimistes inspirées de Jacques Pilhan, homme de l’ombre de François Mitterrand, fin analyste des mouvements de l’opinion de l’époque avec ses “quali”, ces études censées sonder l’âme politique de l’opinion. “Le sorcier de l’Élysée”, comme l’appelait le journaliste François Bazin dans un livre du même nom.

Avec Baron Noir, il s’agissait aussi de jouer à reconnaître les hommes politiques qui avaient croisé la route de Benzekri du temps où il était conseiller politique, ceux qui avaient inspiré ses personnages. Qui se cache derrière ceux de La Fièvre ? Un peu de nous tous, journalistes, citoyens, militants, et beaucoup de lui-même chez Sam Berger, l’héroïne qui joue les Cassandre avec ses prophéties dramatiques et ses exagérations qui font sourire l’auditoire avant de le gifler, lui comme le spectateur.

Un fait divers peut-il vraiment paver la route de la guerre civile en France ? À une période où le débat public n’est que spectacle, une question taraude l’esprit devant La Fièvre : et si cette série n’était qu’un miroir de notre époque ? À quoi ça tient, la guerre civile ? Pour écrire sa série, Eric Benzekri a relu Le Monde d’hier de Stefan Zweig. Dans son livre testament, l’auteur s’interrogeait sur cette Europe qui, bien qu’elle jouissait de progrès, d’audace, de liberté, de Vienne à Paris, s’est abandonnée paisiblement à l’horreur. En regardant La Fièvre, le monde d’hier de Zweig résonne avec le monde d’aujourd’hui de Benzekri. Vertige devant l’écran.

*”La Fièvre”, diffusé sur Canal + depuis le 18 mars et sur MyCanal.fr

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