Gain de temps, bénéfices… L’IA générative, cette révolution pour les entreprises françaises

Gain de temps, bénéfices… L’IA générative, cette révolution pour les entreprises françaises

Discret, il ne quitte jamais son poste. Il connaît les besoins de chacun, apporte un coup de pouce sur demande, et se charge de tâches que les autres renâclent à faire. Sans jamais se plaindre. Ce collègue “idéal” n’existe évidemment pas. Du moins, pas physiquement. L’apparition de ChatGPT, une intelligence artificielle générative grand public, en novembre 2022, a toutefois rendu plausible l’émergence de ce genre d’assistant virtuel, polyvalent et mobilisable 24 heures sur 24 au sein d’une entreprise ou d’une administration. Outre ChatGPT, qui dispose désormais d’une version “business”, Microsoft, Google, Salesforce, et en France des compagnies telles que Mistral, Dust ou LightOn, développent également des solutions professionnelles. Au total, plusieurs centaines de LLM, ces grands modèles de langue à la base des applications d’IA génératives comme ChatGPT, se propagent dans le monde. Ces derniers excellent dans la synthèse de documents, la traduction en des dizaines de langues, la génération de textes, d’images, de voix ou de vidéos. Et si leur fiabilité n’est pas irréprochable dans la recherche de connaissances ou l’écriture de code informatique, ils ne cessent de s’améliorer. Autant de tâches que l’on pensait réservées à cette étrange faune qui hante les open spaces : les cols blancs.

En France, le géant industriel Alstom utilise l’IA générative en interne. Elle remonte rapidement à ses collaborateurs des informations auparavant contenues dans d’épais classeurs. Ceux concernant la fabrication d’un train, “comprennent des centaines de milliers de documents”, rappelait Guillaume Rabier, en charge des solutions IT dans le groupe, lors d’un récent événement auquel assistait L’Express. Dans l’assurance, Alan, qui reçoit des milliers de factures de soins par mois, les transcrivait historiquement à la main. L’IA s’en charge désormais. “Ce qui prenait une journée se fait désormais en quelques secondes”, précise Jean-Charles Samuelian-Werve, son PDG. Un gain de temps qui a permis à Alan de proposer à ses clients le remboursement en moins d’une minute. Dans l’intérim, le groupe Adecco a construit plusieurs IA dont l’une aidant les chercheurs d’emplois à se créer un CV via de simples instructions vocales. “Elle a déjà été utilisée par 45 000 personnes”, note Hélène Jonquoy, la directrice de l’innovation. Depuis l’été dernier, la fonction publique teste un outil de réponse aux usagers qui a fait passer le délai d’attente moyen de sept à trois jours. La liste des cas d’usage n’est pas exhaustive.

Stéphane Roder, à la tête de l’agence AI Builders, qui conseille plusieurs grandes firmes du CAC 40, constate dans la majorité des expérimentations “des gains de productivité énormes, avec des pourcentages à deux chiffres”. Dès lors, informe-t-il, “la phase de découverte est en train de passer. Des produits finaux sont en cours d’élaboration.” Ce passage à l’échelle s’observe notamment dans la relation client et le service après-vente, en première ligne de cette révolution, l’IA pouvant répondre à des questions simples de façon autonome. La fintech Klarna a récemment affirmé que l’IA remplaçait peu ou prou 700 téléconseillers, avec une réduction des coûts évaluée à 40 millions d’euros. Pour les humains restant dans la boucle, Bouygues Telecom, lui, fournit une IA générative à ses conseillers, leur délivrant “un résumé de la conversation avec le client”, indique Christophe Lienard, à la tête de l’innovation pour le groupe. “Ce qui permet de gagner du temps à chaque nouveau coup de fil, car le collaborateur a un accès facile aux précédents échanges.”

Les pièges à éviter

Quelles conséquences cette technologie aura-t-elle sur l’emploi en général ? La question a naturellement émergé. L’entreprise Onclusive, un service de veille média, a annoncé à grand bruit en septembre dernier le licenciement de plus de 200 employés, désormais remplaçables par l’IA. Le phénomène de destruction de postes devrait néanmoins être limité en volume, et se restreindre à une poignée de secteurs, dans la culture, la communication ou encore le commerce. “Les études indiquent que l’IA va plutôt permettre aux travailleurs moins qualifiés de monter en compétence plutôt que de les remplacer”, veut rassurer Marina Ferrari, la nouvelle secrétaire d’État chargée du Numérique. En parallèle, l’IA générative créera aussi de très nombreux emplois, dans la science des données entre autres. Quant aux groupes qui conservent leurs effectifs en y ajoutant une dose d’IA, ils pourront séduire les consommateurs avec des produits plus sophistiqués, des délais d’attente réduits… Ce qui risque d’obliger au fil du temps leurs concurrents à s’aligner. Un cercle vertueux. Reste tout de même à mener avec finesse la transformation des métiers. Le travail est une science éminemment complexe, rappelle Yann Ferguson, sociologue à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) et directeur scientifique du programme ministériel LaborIA, qui étudie les effets de l’introduction de l’IA au travail : “Si on enlève les tâches a priori simples et de faible valeur à un salarié, celles que l’on va plutôt réserver à l’IA, on peut lui enlever aussi la capacité d’accomplir des tâches plus complexes, car il peut y avoir un effet de chaînage entre elles.”

Sélection de métiers susceptibles ou non d’être remplacés par l’IA générative.

Les entreprises qui se lancent dans l’IA générative doivent également se garder de quelques pièges. “Le phénomène ChatGPT a donné l’impression qu’il savait tout faire. C’est faux. Pour obtenir des choses très précises et utiles, il faut retravailler sur les données, ajouter des briques technologiques”, souligne Stéphane Roder, chez AI Builders. Se méfier, en somme, d’un prétendu pouvoir “magique”. La qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Le constructeur automobile Chevrolet a, par exemple, lancé un chatbot qui s’engageait à des promotions sans autorisation et s’est mis à recommander… des Tesla ! L’entreprise de livraison DPD a, quant à elle, suspendu en urgence son agent de conversation qui insultait des clients. Un enseignement : les premiers modèles accessibles “sur étagère”, via des services cloud, doivent nécessairement être adaptés aux besoins ainsi qu’à la culture de l’entreprise, afin de se révéler efficaces.

Une adoption inédite

D’ultimes paramètres sont à prendre en compte pour que l’IA générative profite aux sociétés. “En premier lieu, son coût, notamment si les entreprises souhaitent générer leurs modèles d’IA et les faire tourner sur leurs propres serveurs. La confidentialité des données est aussi cruciale”, pointe Rand Hindi, cofondateur de Zama, une entreprise spécialisée dans la sécurité des applications blockchain et IA. Surtout quand on utilise des solutions non souveraines. Certaines IA enregistrent les questions de leurs utilisateurs pour s’entraîner dessus. Dévoiler sans précautions à celles-ci tous les secrets de son entreprise est risqué. “Et lorsqu’on met des IA à disposition de différents services de son entreprise, il faut bien réfléchir à la manière dont on cloisonne les données”, confie un pro du secteur. Faute de quoi, tout le monde risque de pouvoir accéder à des informations réservées à la direction ou aux RH.

Les effets potentiels de l’IA générative sur le PIB français

“Il est aussi urgent de développer des programmes de formation pour que chacun s’approprie correctement les outils. Le “prompting” – la manière de formuler ses requêtes à l’IA – est comparable à une conversation avec un humain. Si on s’exprime mal, on aura une mauvaise réponse”, signale Rand Hindi. Enfin, Christophe Liénard, de Bouygues, également président d’Impact IA, un collectif engagé pour une intelligence artificielle éthique et responsable, s’attarde sur les répercussions écologiques. “Il est nécessaire de se tourner vers de plus petits modèles moins énergivores quand cela est possible”, plaide-t-il.

Le potentiel de l’IA générative suscite en tout cas de l’enthousiasme, alors que l’Hexagone est aujourd’hui en panne de productivité (une baisse de 4,6 % entre 2019 et 2023, selon l’Insee), et de croissance – un modeste 1 % en 2024. Cette technologie va-t-elle rebattre les cartes ? Les premières estimations sont alléchantes. “L’IA pourrait faire gagner un point de PIB par an à la France”, au cours de la décennie à venir, dévoile Marina Ferrari. Le rapport du comité interministériel sur l’intelligence artificielle générative, remis le mercredi 13 mars, donne une fourchette de 250 à 420 milliards d’euros de retombées financières d’ici à 2030, “soit du même ordre de grandeur que l’activité actuelle de l’industrie dans son ensemble”. “La hausse de la productivité ne peut qu’être positive, et elle pourrait générer une nouvelle forme de redistribution des revenus”, assure Antonin Bergeaud, professeur d’économie à HEC. Mais avec l’avènement de l’informatique au début des années 90, de tels gains n’avaient été constatés qu’une à deux décennies après la diffusion des ordinateurs, modère un récent exposé parlementaire, indiquant qu’il n’est donc “pas écrit que ceux des IA génératives soient plus rapides”. Il y a cependant de bonnes raisons d’espérer que leurs effets, cette fois, soient plus vite palpables.

Car ChatGPT a connu la courbe d’adoption la plus foudroyante de l’histoire. Cinq jours pour atteindre un million d’utilisateurs ; cent fois plus s’y connectent chaque semaine à présent. L’IA générative n’est finalement qu’une évolution naturelle de l’IA, qui existe depuis près de soixante-dix ans et carbure avec des algorithmes régissant les réseaux sociaux, Netflix, et bon nombre de logiciels. La prise en main a donc été plus aisée. D’autant qu’une importante barrière technique a depuis été levée : on donne désormais des consignes à la machine en langage naturel, en français notamment. Dès lors, “ce sont les collaborateurs de l’entreprise qui ont amené l’IA générative sur leur lieu de travail, avant leur direction. Parfois sous les radars”, explique Yann Ferguson. Une tendance également observée par Adecco, qui a profité du lancement de son IA générative pour sonder ses équipes : “65 % des salariés nous ont dit qu’ils se servaient déjà de ce genre d’outils”, indique Hélène Jonquoy. Difficile de résister à une lame de fond.

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