Gras, sucre, activité physique, obésité… “Tant d’erreurs ont été commises en matière de nutrition”

Gras, sucre, activité physique, obésité… “Tant d’erreurs ont été commises en matière de nutrition”

Auteur de plusieurs best-sellers aux Etats-Unis, Gary Taubes est un journaliste américain spécialisé dans l’investigation scientifique. Il a passé une large partie de sa carrière à enquêter sur les recommandations nutritionnelles. Sa position de journaliste, hors des cénacles médicaux, lui offre la liberté nécessaire à la remise en question des dogmes officiels. Alors qu’il publie un nouveau livre, Rethinking Diabetes (“Repenser le diabète”, Penguin Random House), il revient pour L’Express sur l’origine de ces deux épidémies modernes que sont l’obésité et le diabète, et s’inquiète de la “révolution” des nouveaux médicaments anti-obésité.

L’Express : Quelles sont selon vous les causes de l’actuelle épidémie d’obésité ? Plus de 40 % des Américains sont obèses selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies…

Gary Taubes : Deux paradigmes s’affrontent. La théorie majoritaire, c’est que l’industrie agroalimentaire a mis à notre disposition trop d’aliments savoureux et que par ailleurs, nous avons trop peu d’activité physique. Donc nous grossissons. Le point de vue alternatif, que je défends, voit l’obésité comme une affection hormonale, principalement due à l’insuline, en réponse au type de glucides que nous mangeons. Nous avons un système alimentaire dominé par des glucides raffinés, de la farine blanche au sucre. Plus les glucides sont raffinés, plus ils sont faciles à digérer et plus l’insuline s’élève.

Selon vous, de graves erreurs ont été commises dans les recommandations nutritionnelles. Pourquoi ?

Cette idée de déséquilibre de la balance énergétique est née en Allemagne dans les années 1930, et s’est ensuite répandue aux Etats-Unis. Puis les Allemands se sont mis à la rejeter, mais les Américains l’ont adoptée sans réserve, et ont construit toutes leurs recommandations là-dessus. On nous a expliqué que ce n’était qu’une question de gloutonnerie, de paresse, d’excès de nourriture. Après la Seconde Guerre mondiale, ce concept a triomphé. Dans les années 1960, les principaux chercheurs en obésité, des psychologues et des psychiatres, ont tenté de comprendre pourquoi les personnes souffrant d’obésité mangeaient autant. En 1994, la leptine a été identifiée. Cette découverte a été interprétée comme la mise à jour d’une hormone qui dit au cerveau quand cesser de manger. Encore une fois, on tente d’expliquer pourquoi les gros ne savent pas s’arrêter de manger, avec l’idée que tout se passe dans la tête.

Aujourd’hui, les nouveaux médicaments contre l’obésité, les analogues du GLP-1, prouvent que maigrir n’est pas qu’une question de volonté. On nous dit que ces médicaments fonctionnent parce qu’ils poussent les gens à manger moins. Mais en réalité, les personnes qui les prennent ont l’appétit inhibé avant même de manger, elles n’ont tout simplement pas faim. La nourriture n’a pas eu le temps d’entrer dans leur intestin et d’en sortir. Il existe donc de nombreuses preuves que l’effet de ces médicaments est bien plus profond.

Vous avez aussi dénoncé l’obsession pour les graisses, et notamment les graisses saturées…

Dans les années 1960 et 1970, les scientifiques américains ont conclu que les graisses saturées étaient la cause des maladies cardiaques, même si les Français ou les Suisses – grands consommateurs de fromages riches en graisses saturées – avaient une espérance de vie parmi les plus élevées au monde. Pour éviter des maladies cardiaques, il fallait donc suivre un régime pauvre en graisses saturées. Les autorités ayant estimé qu’il était trop compliqué d’expliquer aux personnes d’éviter juste les graisses saturées, on leur a dit d’éviter toutes les graisses, sans distinction. On a ainsi remplacé ces calories par des glucides, alors même que nous disposons d’un certain nombre de preuves que ces derniers font grossir. Tout cela coïncide étrangement avec l’actuelle épidémie d’obésité et de diabète.

Que pensez-vous de ces nouveaux médicaments contre l’obésité ? Est-ce une révolution ?

Très clairement. Mais parfois, certaines révolutions produisent des résultats pires qu’avant. L’obésité est un fardeau très difficile à inverser. J’estime qu’un régime alimentaire pauvre en glucides peut être efficace. Mais même si j’ai raison, nous ne savons pas si cela suffirait à réduire significativement la part de la population souffrant de surpoids. A l’inverse, ces médicaments rendent les choses assez faciles. Et quand c’est facile, les gens s’en emparent massivement.

Mais lorsque l’on perturbe un système homéostatique très important, comme semblent le faire ces médicaments, on ne peut jamais connaître les conséquences à long terme. Si vous essayez de les arrêter, le poids revient dans la plupart des cas. Mais que se passe-t-il après dix, vingt ans de traitement ? Avec les benzodiazépines ou les opioïdes, on a constaté que plus on les prend longtemps, plus on a des problèmes, avec des effets secondaires qui changent avec le temps.

La situation me semble ainsi préoccupante. Connaissez-vous la phrase attribuée à Donald Rumsfeld, ancien secrétaire à la Défense des Etats-Unis ? “Les inconnus connus et les inconnus inconnus.” C’est une excellente façon de résumer le fait que parfois, vous savez ne pas savoir certaines choses, mais que d’autres fois, vous n’en savez même pas encore assez pour savoir que vous ne savez pas. Les “inconnus inconnus” des analogues du GLP-1 seront peut-être mineurs, ou pas…

Nous n’avons jamais vraiment identifié la cause de l’épidémie de l’obésité

Mais pourrait-on arrêter cette épidémie d’obésité sans médicaments ?

Pour prévenir une épidémie, il faut déjà en cerner la cause. Or, nous n’avons jamais vraiment identifié la cause de l’épidémie de l’obésité. Encore une fois, domine l’idée reçue que les gens mangent trop et ne font pas assez d’exercice. Dans cette approche, cela relève donc de la responsabilité personnelle. Dans mon premier livre en 2007, Good Calories, Bad Calories, j’explique que les glucides et sucres raffinés sont les moteurs de cette épidémie. Mais on m’a rétorqué qu’il était difficile de blâmer les sucres raffinés, car toute l’Asie du Sud-Est a une alimentation riche en glucides, sans épidémies d’obésité et de diabète jusqu’à récemment. Comment expliquer que ces milliards de personnes ne deviennent pas obèses et diabétiques en consommant de la farine blanche et du riz blanc, qui sont des glucides à indice glycémique élevé ? David Ludwig, endocrinologue à Harvard qui travaille sur l’indice glycémique, souligne que ces personnes ont aussi des modes de vie très actifs. Celles qui mangent le plus de glucides et les glucides les moins chers sont aussi celles qui travaillent physiquement dans les rizières. Cela pourrait être vrai.

Mais on peut aussi penser que ces personnes n’ont longtemps pas consommé de Coca-Cola. En ajoutant des boissons sucrées au régime alimentaire d’un pays, on assiste en quelques générations à une épidémie d’obésité et de diabète. Il y a des raisons biochimiques d’incriminer ces produits. C’est mon point de vue, mais il est très difficile, en pratique, de tester ce qui cause l’obésité chez les humains.

Par ailleurs, il faut prendre en compte un autre facteur, qu’on appelle la programmation fœtale. Pour faire simple, les mères qui sont en surpoids ou obèses, qui prennent beaucoup de poids pendant la grossesse, ou qui sont diabétiques ou souffrent de diabète gestationnel, transmettront à leur enfant une plus grande prédisposition à devenir obèse et diabétique en grandissant. Ce concept, développé pour la première fois dans les années 1920 au Danemark, est l’une des raisons pour lesquelles votre médecin essaiera de limiter la prise de poids pendant la grossesse.

Le problème est qu’avec cette programmation fœtale, chaque génération a un risque accru de devenir obèse et diabétique à un âge plus jeune. Les personnes aujourd’hui naissent avec une prédisposition à l’obésité et au diabète plus grande qu’auparavant. Si l’on veut inverser le cours de l’épidémie, il faut donc commencer par la mère et pendant la grossesse.

La grossesse est d’ailleurs l’un des sujets qui me rend très nerveux à propos de ces nouveaux médicaments. Une jeune femme prend ces GLP-1, perd 15 kilos puis veut avoir un enfant. Nous n’avons aucune idée des conséquences de ces médicaments sur la programmation fœtale. Peut-être inverseront-ils la transmission de cette prédisposition, en rendant la génération suivante plus maigre. Mais une autre possibilité est que la jeune femme veuille tomber enceinte, qu’elle en parle à son médecin et qu’il arrête ses médicaments. Et voilà qu’elle reprend du poids pendant la grossesse. C’est en tout cas le genre d’étude qu’il faut mener sur ces médicaments.

Quels sont selon vous les impacts de l’activité physique et du sport ?

Lorsque l’on fait des études épidémiologiques observationnelles de cohorte, on prend une population et on la suit dans le temps. On découvre alors que les personnes sveltes sont celles qui sont physiquement actives. On suppose donc qu’il y a un lien de causalité. Mais on pourrait aussi, à l’inverse, supposer que les personnes maigres et en bonne santé sont physiquement actives car elles peuvent l’être.

Dans les études sur les animaux, le fait de rendre un animal physiquement actif ne l’empêchera pas de devenir obèse s’il a une prédisposition génétique, même en épuisant l’animal ! Mais chez les humains, nous évoluons dans un monde de personnes très actives et maigres qui pensent que si les gros faisaient comme eux, tout irait bien. Croyez-moi, toutes les personnes qui luttent contre l’obésité aimeraient que cela soit vrai. Mais les données montrent que ceux d’entre nous qui grossissent facilement sont tout simplement différents des personnes maigres.

Tant d’erreurs ont été commises en matière de nutrition. On nous a dit que les graisses sont mauvaises parce qu’elles ont une forte densité énergétique, et qu’il fallait les remplacer par des glucides. Nous avons enlevé la graisse des yaourts. Mais comme cela leur donne un goût affreux, on a ajouté du sucre. Ces produits allégés en matières grasses sont commercialisés en tant qu’aliment diététique, censé prévenir les maladies cardiaques. Et désormais, la plupart de nos calories proviennent du sucre…

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