Guerre en Ukraine : comment Kiev veut faire payer à la Russie les dommages environnementaux

Guerre en Ukraine : comment Kiev veut faire payer à la Russie les dommages environnementaux

C’est une autre bataille que l’Ukraine entend bien gagner. Alors que la guerre se poursuit dans l’est du pays, Kiev se prépare à traîner la Russie en justice. Son but ? Obtenir réparation pour les dommages environnementaux subis. Forêts incendiées, villes et cultures inondées, sans parler des millions de mines et de munitions dispersées au sol… La facture environnementale se monterait à 52 milliards de dollars, selon la Commission européenne. Et elle ne cesse de grimper. “La Russie devra répondre de ses actes. Elle a délibérément visé nos rivières, nos forêts et nos champs”, écrivait en août dernier Andriy Yermak, chef de cabinet du président Volodymyr Zelensky, dans une tribune publiée dans The Guardian.

Mais comment faire payer l’agresseur ? Si le Code pénal ukrainien inclut bien le délit d’écocide – la destruction massive de la flore et de la faune, l’empoisonnement de l’air ou de l’eau, ainsi que tout acte susceptible de provoquer une catastrophe environnementale -, faire valoir ce préjudice à l’échelle internationale s’apparente, pour l’heure, à une mission impossible. “L’écocide ne constitue pas une infraction pénale au regard du droit international. L’Ukraine souhaite y introduire cette notion en élargissant les compétences de la cour pénale internationale (CPI)”, explique Joanna Hosa, chercheuse au sein du programme Europe élargie du Conseil européen pour les relations internationales.

Aux Nations unies, les conditions semblent favorables pour lancer un débat. Car l’impact climatique des conflits ne peut plus être ignoré. Avant de porter sa demande en justice, l’Ukraine doit toutefois accumuler le plus de données possibles. C’est justement la mission d’Ecodozor, une plateforme internet développée par l’ONG suisse Zoï, en collaboration avec le Programme des Nations unies pour l’environnement et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Déjà, cette plateforme aurait répertorié plus de 29 000 cas de dégradations dues aux activités militaires. “Il est toutefois très compliqué d’évaluer précisément le coût d’une guerre”, déclare Pierre Vauthier, chef du bureau Ukraine au sein de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Comme il n’existe aucune norme internationale pour mesurer les dommages écologiques causés par les conflits, les chiffres peuvent en effet être contestés. Se pose, aussi, la question de la responsabilité. Qui doit payer pour les dégâts quand les deux camps s’accusent de les avoir causés ? “Le combat juridique de l’Ukraine promet d’être difficile, confirme Julie Fabreguettes, avocate associée du cabinet VingtRue. Admettons que l’on parvienne à élargir le champ d’action de la CPI, ce nouvel outil ne serait sans doute pas appliqué tout de suite. Pis, il ne serait peut-être pas rétroactif.”

S’armer de patience

Autre difficulté, la CPI ne possède pas sa propre police. Elle dépendrait donc de la coopération des Etats pour extrader les responsables d’armées ou d’entreprises à l’origine de dégâts environnementaux. Comment procéder, dans ces conditions, avec la Russie, qui n’en est pas membre ? “L’Ukraine pourrait se raccrocher à des textes existants pour tenter de faire payer Moscou”, suggère Sarah Becker, également avocate associée du cabinet VingtRue et spécialiste en droit de l’environnement. Mais il faudrait qu’elle prouve qu’elle a subi des dommages “délibérés, étendus, durables et manifestement excessifs”. Des termes vagues ouvrant la porte à des discussions sans fin.

“Il n’existe aucune voie juridique internationale viable pour demander réparation et, peut-être plus important encore, aucune volonté de la part de la Russie de prendre en compte ces demandes”, soulignent les experts de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm dans une note récente. Mais il y a un espoir. “Certes, une compensation financière de la part de la Russie n’est pas réaliste tant que Vladimir Poutine reste au pouvoir. La saisie des avoirs russes gelés ouvre toutefois de nouvelles perspectives. De même, si le gouvernement russe change à l’avenir, il pourrait être davantage disposé à indemniser l’Ukraine”, espère Joanna Hosa. D’ici là, Kiev va devoir s’armer de patience.

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