Implants vaginaux, l’autre scandale : “J’ai dépensé 21 000 dollars pour les faire retirer”

Implants vaginaux, l’autre scandale : “J’ai dépensé 21 000 dollars pour les faire retirer”

Comme des coups de poignards dans les hanches, les jambes, le dos, le rectum, le vagin. Des douleurs inimaginables, au point de ne plus pouvoir bouger, marcher, ou même rester assise. Des infections urinaires à répétition. Plus de sport, plus de vie intime, plus de vie tout court. Des urètres érodés, des vessies perforées, des muscles abîmés. Des années d’errance, d’examens et d’opérations inutiles, à affronter le déni du corps médical. Sur leurs groupes Facebook, les femmes mutilées par des implants contre l’incontinence urinaire et le prolapsus racontent leurs souffrances. Des témoignages nombreux, poignants, pour un scandale dont on n’a pas fini de mesurer l’ampleur.

A ce drame s’en ajoute un autre : la difficulté pour les victimes à obtenir des soins adaptés. Les étroits et longs filets de polypropylène implantés pour soutenir leurs organes n’ont pas été conçus pour être retirés. Même une fois l’origine de leurs maux identifiée, l’immense majorité des chirurgiens français hésite donc à réopérer les patientes. Et plus encore à ôter en totalité la fameuse bandelette, tant l’intervention s’avère délicate. Les femmes concernées ne savent souvent pas vers qui se tourner. Au point que certaines traversent l’Atlantique et dépensent des fortunes pour être enfin “libérées” du dispositif. Une affaire qui illustre une nouvelle fois l’opacité de notre système de santé, mais aussi la difficulté à réguler l’activité des médecins. Car les implantations, elles, continuent à un rythme soutenu, alors même que les risques sont maintenant bien connus.

Sous la pression des associations de victimes, quelques spécialistes tentent, non sans mal, d’aider les patientes et de mettre de l’ordre dans les pratiques. Mais le plus difficile reste à faire : regagner la confiance de ces femmes mal traitées, et blessées au plus profond de leur chair. Leur nombre précis n’est pas connu. Depuis leur invention voilà un peu moins de trois décennies, ces bandelettes ont été posées à la pelle. “Rien qu’en France, 700 000 femmes en seraient porteuses”, estime le Pr Xavier Gamé, ancien secrétaire général de l’Association française d’urologie (AFU). Une descente d’organes, des fuites à l’effort, même minimes, et gynécologues et urologues les conseillaient – les conseillent toujours – à leurs patientes. Encore trop souvent sans les informer des risques, et sans avoir tenté de solution alternative.

Une étude française (Vigimesh) parue en 2023 fait état de près de 3 % de complications ayant nécessité une réintervention jusqu’à deux ans après la pose. Soit quelque 21 000 femmes concernées. Un chiffre largement sous-estimé, selon les associations : il n’inclut ni les patientes qui n’ont pas bénéficié d’une réintervention malgré leurs souffrances, ni celles dont les difficultés ont commencé plusieurs années après l’implantation.

Une lourde facture

Exemple parmi d’autres, Anne-Laure Castelli, aujourd’hui porte-parole du Collectif “Balance ta bandelette”, a erré pendant sept ans, d’experts de la douleur en urologues, avant de découvrir un groupe Facebook français de soutien aux victimes des bandelettes. Une illumination. “J’ai lu tous les témoignages, je pleurais. Jusque-là, tous les médecins que je consultais me disaient que mon implant n’était pas en cause”, raconte-t-elle. Elle cherche alors à se faire réopérer, en vain. “Au mieux, on me proposait de sectionner la bandelette. Mais l’enlever, on me répétait que c’était impossible”, se souvient-elle.

Elle se tourne alors vers un chirurgien américain, le Dr Dionysios Veronikis, dont le nom circule sur les groupes Facebook, en France comme à l’étranger. Ce gynécologue s’est spécialisé dans le retrait des implants vaginaux. Il bénéficie d’une excellente réputation sur les réseaux et a même signé une convention avec le système de santé écossais, qui couvre les frais liés à ses interventions. Pour toutes les autres femmes, et notamment les Françaises, l’addition est lourde. De l’ordre de 15 000 dollars minimum, parfois beaucoup plus, pour l’opération elle-même et un ou deux jours d’hospitalisation. Une Québécoise, Cynthia Gagné, elle-même opérée par ce chirurgien, propose d’accompagner et d’héberger les femmes sur place, en petits groupes, pendant une dizaine de jours après l’intervention, le temps qu’elles soient à nouveau en état de voyager. Une prestation qu’elle facture près de 6 000 dollars par personne, vol non compris.

Après avoir réuni l’argent avec l’aide de sa famille, Anne-Laure Castelli est opérée en février 2023. Depuis les douleurs s’atténuent lentement, mais elle a encore besoin d’un coussin pour s’asseoir. Quarante-deux Françaises ont déjà fait le déplacement jusqu’aux Etats-Unis, et beaucoup, sur Facebook, se disent satisfaites du résultat. Annabelle Netto, elle, a préféré être soignée en France : “Sur le groupe Facebook, il n’y en a que pour ce Dr Veronikis. On a l’impression qu’il est le seul à pouvoir nous prendre en charge”, déplore-t-elle, ulcérée par les tarifs demandés. Opérée en octobre, elle se remet doucement et se bat pour que les femmes sachent qu’il existe aussi, dans l’Hexagone, des chirurgiens capables de les aider. De guerre lasse, elle a même fini par créer un nouveau groupe Facebook, pour “échapper aux pressions” des femmes qui défendent la solution américaine.

Reste qu’en France, les chirurgiens capables de réopérer les victimes sont peu nombreux, et mal identifiés de leurs confrères et des patientes. “Sous couvert de confraternité et d’interdiction de faire de la publicité, les médecins ne peuvent pas communiquer sur leurs compétences”, regrette le Dr Benoit Peyronnet. Cet urologue au CHU de Rennes en sait quelque chose : après avoir donné dans la presse le nom de quelques spécialistes capables de retirer ces bandelettes, il a été attaqué devant l’ordre des médecins. “Malheureusement, le résultat est là : la prise en charge n’est pas bonne dans notre pays, car les dames n’arrivent pas jusque dans les centres compétents”, constate-t-il.

Réformes en cours

Cela pourrait toutefois bientôt changer. Après des mois de discussions, les représentants des urologues, des gynécologues et des spécialistes du périnée viennent en effet, selon nos informations, de s’accorder sur la création de “centres experts” pour le traitement des complications. Le nombre précis reste à déterminer, mais le ministère de la Santé devrait en publier la liste officielle d’ici la fin de l’année. Suffisant ? Une partie des victimes en doute. “J’ai été opérée par un chirurgien français qui connaît bien nos complications. Il m’a dit que la bandelette avait été retirée en totalité, alors que le retrait n’était que partiel”, indique par courriel Marie-Christine Siodeau. A l’origine du collectif de patientes françaises, cette femme, opérée depuis aux Etats-Unis, assure ne pas être la seule dans ce cas.

Désormais méfiantes à l’égard du corps médical, une partie des victimes demandent des preuves tangibles des compétences des chirurgiens. “Aux Etats-Unis, le Dr Veronikis fournit des photos de ce qu’il enlève. Certains experts français nous ont promis de faire la même chose, mais nous attendons toujours”, regrette Anne-Laure Castelli. Une prudence qui peut se comprendre, tant ces femmes ont été malmenées par les soignants. Beaucoup constatent aussi à quel point la réglementation censée encadrer la pose des implants est difficile à faire respecter.

Après que le scandale a éclaté en 2017, des mesures ont en effet été prises pour en restreindre le recours. En octobre 2020 et en septembre 2021, deux arrêtés ont posé des exigences de formation à la technique et de pratique régulière, ainsi que l’obligation de tenir une réunion de concertation pluridisciplinaire [NDLR: entre différents spécialistes] avant toute intervention. Et, bien sûr, la nécessité d’apporter des informations écrites aux patientes sur les bénéfices et les risques des dispositifs.

Dans les faits, la mise en oeuvre de ces mesures s’avère pour le moins variable. “Parmi les membres de notre groupe implantées depuis 2020, seules 4 % ont reçu ces informations”, rapporte Florence Candas, du Collectif Bandelettes périnéales France. Une enquête menée par un groupe d’experts auprès de 436 chirurgiens français a également montré que 47 % d’entre eux posaient moins de 15 implants par an, un volume considéré comme insuffisant, et que 45 % des centres n’organisaient pas de réunion de concertation pluridisciplinaire… Pire encore, 70 % des internes ne seraient pas bien formés à ce geste. “C’est comme avec le code de la route, soupire le Pr Gamé. Les confrères sont informés des règles, mais les autorités ne peuvent être derrière chacun.”

De nouvelles règles pourraient toutefois être bientôt édictées à l’occasion de la mise à jour des arrêtés de 2020 et 2021. “Il s’agirait de renforcer l’obligation de formation permanente, mais aussi d’imposer la participation à un registre [NDLR : où tous les actes sont consignés au niveau national], la déclaration des complications et l’adressage des patientes à des centres experts en cas de problème”, résume Michel Cosson, gynécologue au CHU de Lille et président de la commission de pelvi-périnéologie du Collège des gynécologues obstétriciens. Les spécialistes souhaiteraient aussi limiter drastiquement la pose du modèle de bandelettes le plus difficile à retirer, qui représente encore la moitié des implants posés aujourd’hui.

Les collectifs de victimes, eux, en demandent davantage. La création d’un nombre restreint de centres experts pour les poses, et pas uniquement pour les retraits. Des garanties sur la formation des chirurgiens. De la recherche sur le matériau utilisé pour les implants, beaucoup de femmes s’inquiétant de développer également des maladies inflammatoires (endométriose…). Et le remboursement des explantations réalisées aux Etats-Unis. Les représentants des chirurgiens français, de leur côté, font valoir que, dans un tiers des cas, le retrait ne suffit pas à supprimer les douleurs. Et que dans ces conditions, les femmes auraient tout intérêt à être prises en charge en France, dans des centres spécialisés, capables de les accompagner au long cours, avec un suivi adapté. Au vu de la situation actuelle, il leur faudra toutefois plus que des mots pour convaincre. Mais si les réformes annoncées se concrétisent, les victimes auront au moins accès à un choix éclairé.

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