JO, Tom Cruise, nouveau siège… Le baroud d’honneur de la scientologie

JO, Tom Cruise, nouveau siège… Le baroud d’honneur de la scientologie

Des vans défilent. Un noir, puis un blanc. A tour de rôle, les véhicules s’engouffrent dans les entrailles du nouveau siège de la Scientologie en France. A leur bord : des adeptes, seuls ou en famille. Ce polygone de 7 000 m² de verre, fraîchement rénové à Saint-Denis, à deux pas du Stade de France, n’a encore pas ouvert, que déjà les invités s’y bousculent. Privilège des “ministres”, le nom donné à ceux qui dirigent les offices scientologues.

En cette journée de mars, les rendez-vous s’enchaînent. Sur le parking, à l’arrière, des ouvriers nettoient, enduisent, découpent. Le lieu, une nouvelle église, le troisième espace dédié à la scientologie en Ile-de-France, doit être inauguré dans les semaines à venir. Un moment charnière, l’apogée des efforts d'”expansion” de l’organisation dans l’Hexagone, dit-elle dans ses communiqués.

Le jardinier qui peaufine la devanture, la vingtaine, ne parle qu’anglais. Il aime les pelouses à ras, comme ses cheveux. Au-dessus de lui, des lettres pendent, recouvertes de plastique noire. A la nuit tombée, quand les derniers préparatifs seront terminés, elles scintilleront, comme les enseignes des grandes entreprises d’à côté. On pourra y lire : “Eglise de Scientologie”, depuis la rue, de l’autoroute A1, toute proche, ou en allant au stade à pied, pour un match ou pour les Jeux olympiques.

Le directeur, Tom Cruise et des “bus affrétés”

Avec son centre aquatique construit pour l’événement planétaire, le quartier promet d’être un des cœurs battants de la compétition, et tout en même temps le poumon de la scientologie française. Rien d’étonnant : Euro de football en 2016, épreuves de surf à Lacanau (Gironde)… Les adeptes ont pris l’habitude d’écumer les compétitions sportives pour se faire connaître, recruter, et récolter des dons. Ils étaient là, le 5 novembre dernier, soir de finale de la Coupe du monde de rugby. “Dès qu’il y a un rassemblement, ils viennent avec des gilets fluo”, décrit Daniel Sisco, président de l’ADFI-Paris, association qui défend les victimes de sectes.

À trois mois des Jeux olympiques, l’organisation soigne sa cérémonie d’ouverture. La date avait été évoquée à L’Express par ses membres. Elle est désormais officielle : ce sera le 6 avril. Au programme, deux jours de célébrations, ouvertes au public, avec “offices religieux”, conférences, diners et cafés offerts. “Il est temps d’éclairer le monde depuis Paris”, peut-on lire sur les flyers qui commencent à être distribués ce jeudi, au grand dam des associations de lutte contre les dérives sectaires.

Selon nos informations, son directeur David Miscavige sera présent, ainsi que d’autres cadres. Tom Cruise sera aussi de la fête. L’acteur est l’un des plus fiers représentants de l’organisation. “Il y a forcément du monde et des célébrités, quitte à affréter des bus. Une inauguration, c’est une démonstration de force”, relève Lucas Le Gall, ancien haut gradé scientologue qui officiait aux Etats-Unis et auteur de Un milliard d’années (Cherche midi, 2020).

L’organisation a tellement invité qu’elle a dû déposer des demandes d’occupation de voirie à la préfecture de Seine-Saint-Denis, a-t-on appris. La fête risque de déborder sur la rue, où siègent, pêle-mêle, plusieurs agences d’intérim, une division du fisc, et la rédaction du quotidien 20 Minutes. Autant de flirts potentiels. Depuis la mise en examen par la justice française de plusieurs de ses membres en 2022, pour des faits de “complicité de banqueroute” et d’”abus de biens sociaux”, l’Église de Scientologie fait l’objet d’accusations de “noyautage”.

Des membres qui se font rares

Aussi reluisant soit-il, l’édification de ce nouveau lieu de culte relève plutôt du baroud d’honneur. Depuis sa condamnation en 2012 pour escroquerie, l’organisation américaine étouffe dans l’Hexagone, où elle n’a jamais réussi à recruter les stars qui ont fait son succès Outre-Atlantique. Officiellement, elle dit compter 40 000 membres français. En 2005, une commission d’enquête parlementaire avançait le chiffre de 2 000. “Cela se résume à quelques centaines désormais”, croit savoir Lucas Le Gall, aujourd’hui en rupture de ban avec l’organisation. Sur Internet, une liste circule, sans qu’on connaisse exactement sa provenance. Datant de 2015, elle recense tous les Français dont les liens sont avérés. Il y en a moins de 400.

Ces difficultés de recrutement s’ajoutent à la réponse des autorités françaises. Contrairement aux Pays-Bas, ou à la Grèce, des pays qui ont reconnu récemment l’organisation comme un culte à part entière, la France ne lui accorde qu’un statut d’association, ce qui de fait, limite son champ d’action. Selon nos informations, plusieurs demandes ont encore été déposées en 2023, pour obtenir le statut de religion. Sans succès. “Ils essayent un peu partout, mais ils n’ont aucune chance”, souffle un agent de préfecture chargé de ces questions.

Reste qu’elle n’est, en l’état, ni totalement morte, ni interdite. Ce qui limite les recours. En 2019, la mairie de Saint-Denis a tenté de s’opposer à l’achat du site de la nouvelle église. Sans succès, faute de motif suffisant. Depuis, les scientologues investissent les environs à pas de loup. “Ils ont demandé pour déposer des tracts, puis on ne les a jamais revus”, raconte un restaurateur, non loin. Des gens “pas méchants, mais très aériens”, dit-il, en vissant son torchon dans une tasse. Plusieurs passants s’étonnent : “ah bon, la scientologie, ici, chez nous ?”. “On est vigilant”, rétorque la Maison des Associations, alertée par les pouvoirs publics.

Une discrète installation

Certains voisins bien informés s’agacent sur les réseaux sociaux, lorsqu’ils reçoivent des tracts dans leur boîte aux lettres. Ils postent un message lorsqu’ils repèrent les associations liées, comme “Non à la drogue”, et du “Chemin du bonheur”, des structures qui rabattent en militant contre les stupéfiants et pour l’apaisement des quartiers populaires. Pas de logo, ni de références explicites, mais à chaque fois, des louages à Ron Hubbard, le fondateur du mouvement, et des publications sur le site officiel.

Selon un décompte de L’Express à partir des communiqués de la scientologie, la majorité des actions de ces deux collectifs se déroulent désormais à Saint-Denis, ou aux alentours. 11 février 2024 : 1 300 livrets distribués, devant les commerces. 4 février, 1 000, en bas des logements étudiants. 17 décembre 2023, 700, sans compter les cadeaux et les friandises, données à l’orée d’une cité. 19 juillet. Opération “Message de paix”, à la gare RER, suite aux émeutes liées à la mort du jeune Nahel à Nanterre. 10 juin : Nettoyage dans les rues. Le reste ? A Paris, Marseille ou Lyon, pour la plupart.

La scientologie organise aussi régulièrement des manifestations. Comme à Grenoble, où ses adeptes avaient fait le pied de grue en juillet 2023 devant le Congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française. Parfois, la presse ignore à qui elle a affaire, et relaie sans recul. “Le groupe a recours à un organisme distinct de l’Eglise de Scientologie mais entièrement contrôlé par cette dernière : la Commission des citoyens pour les droits de l’homme”, précise la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), dans son dernier rapport. Elle qualifie ces mobilisations d’”opérations de déstabilisation”.

La bataille judiciaire

En 2023, plus d’une dizaine d’hôpitaux ont aussi été assignés en justice par la scientologie. Si l’anonymat des patients est préservé, la loi permet d’obtenir à la demande certains documents administratifs. Montreuil, Mayenne, Morlaix, Faye-l’Abbesse, Le Mans… Les scientologues réclament le décompte des internements. La preuve que la psychiatrie est violente, selon eux. Mieux vaudrait les tests, les préceptes de “développement personnel”, les séances de plusieurs heures de sauna, les cures de vitamines par sauts proposés par ses partisans, pour se “libérer”. Toutes sont payantes.

C’est, selon les services de l’Etat, l’ensemble de l’administration française qui est en réalité visée par les procès. Jusqu’à la presse, les particuliers. La scientologie attaque en justice, dès qu’elle est qualifiée de “secte”, dès qu’elle est accusée d’”emprise”, ou d’extorquer les fonds de ceux qui y croient. Avec 1 milliard de dollars de liquidité, selon les témoignages d’anciens endoctrinés, ses fonds judiciaires sont quasiment illimités. Le bâtiment à Saint-Denis, son auditorium de 700 places, des salles d’études et de rencontres, le tout à 33 millions d’euros ? Une broutille, à en croire ces sources. Mais un lieu qu’elle espère stratégique pour recruter.

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