“Le contrat d’une vie” : comment les JO 2024 ont sauvé Le Coq Sportif

“Le contrat d’une vie” : comment les JO 2024 ont sauvé Le Coq Sportif

L’odeur de peinture, encore fraîche, titille les narines, à l’heure des dernières finitions. Le calme du lieu, flambant neuf, tranche avec l’agitation qui règne dans les locaux attenants, là où les employés de l’usine du Coq Sportif à Romilly-sur-Seine, dans l’Aube, s’activent sur les machines à coudre et les appareils de découpe de vêtements. Cette extension de 3 000 mètres carrés, ornée d’immenses baies vitrées et de longues poutres en fer forgé, va permettre de doubler la production du site. Avec son style moderne, ses concepteurs ont tout de même tenu à conserver la forme atypique en triangle penché du toit du site historique. Sans le méga contrat signé il y a quatre ans avec le Comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024, ce bâtiment n’aurait peut-être jamais vu le jour et la marque tricolore aurait pu sombrer.

La nouvelle extension de l’usine de Romilly-sur-Seine.

La nouvelle est tombée le 9 mars 2020, une semaine avant que la France ne rentre dans son premier confinement. Ce jour-là, les équipes du Coq Sportif apprennent qu’ils ont remporté deux lots de l’appel d’offres “équipementier” émis par Paris 2024. Le premier, intitulé “Performance”, prévoit la fabrication des équipements des athlètes français olympiques et paralympiques, dont des kimonos ou des vêtements particulièrement techniques pour les cyclistes. Le second, dit “Représentation”, comprend les tenues des membres de l’équipe de France pour les podiums et le Village olympique, ainsi que celles des officiels et des membres du staff. A cela s’ajoutent les vêtements commercialisés dans les boutiques officielles. Au total, 1,3 million de pièces seront fabriquées par l’entreprise à Romilly-sur-Seine, et surtout au Maroc. “Le contrat d’une vie”, savoure le directeur de la marque, Patrick Ouyi.

Le Coq Sportif déjà partenaire des JO 1924 de Paris

L’histoire est belle : lors des Jeux olympiques de 1924 dans la capitale, Le Coq Sportif habillait déjà les athlètes français. Une tradition jusqu’en 1972. “Nous sommes extrêmement fiers de les avoir pour partenaires : ils ont un lien fort avec l’équipe de France. De plus, ils ont présenté un vrai projet industriel en relation avec le territoire”, explique François-Xavier Bonnaillie, directeur commercial et des partenariats de Paris 2024. Les tenues podium des 840 athlètes tricolores seront, par exemple, exclusivement fabriquées à Romilly-sur-Seine.

La relation entre la marque et cette commune d’environ 15 000 habitants, située à une quarantaine de kilomètres de Troyes, a des airs de “je t’aime, moi non plus”. Il fut un temps où Le Coq Sportif y possédait pas moins de quatre usines. Pendant la première moitié du XXe siècle, il multiplia les partenariats de prestige avec le Tour de France ou encore l’équipe de France de football. Mais à partir des années 1970, la société, créée en 1882 par Émile Camuset, va subir de plein fouet la concurrence mondiale et notamment asiatique. En 1974, Adidas devient propriétaire de la griffe et organise petit à petit sa délocalisation, avant le départ définitif de l’Aube en 1988 pour la Tunisie et la Corée du Sud.

Le Coq Sportif fera finalement son retour vingt ans plus tard, sous l’impulsion du fonds d’investissement suisse Airesis, qui en avait, entretemps, pris le contrôle. Aujourd’hui, 160 salariés travaillent sur place et des dizaines d’embauches sont prévues. Depuis plusieurs mois, c’est le branle-bas de combat pour tenir les délais. “Une organisation en mode commando”, reconnaît Patrick Ouyi. L’enjeu est de taille, car l’événement doit permettre au Coq Sportif de s’ancrer dans le sport de haut niveau. “J’ai souvent eu ce débat où l’on me disait : “Tu ferais mieux d’en faire un Lacoste ou un Moncler”, raconte Marc-Henri Beausire, patron de Airesis et directeur général de l’entreprise depuis 2015. Mais notre marque a des racines fortes dans le sport, avec un côté populaire qu’elle doit conserver”.

Une autre dimension

L’entreprise a fabriqué pendant plusieurs années les maillots du XV de France de rugby ou de l’équipe de football de l’AS Saint-Etienne, mais avec le contrat “Performance”, elle passe dans une autre dimension. “Se positionner sur ce lot était probablement une folie ou un coup de génie, on verra cela avec le recul”, reconnaît le dirigeant. Les différents services de l’entreprise ont travaillé d’arrache-pied avec les fédérations, au prix de multiples allers-retours, pour développer les meilleurs équipements dans des disciplines auxquelles les équipes produit n’avaient jamais eu affaire, comme l’équitation ou le judo. Avec son lot de doutes. “Il a fallu les rassurer. Nos interlocuteurs souhaitaient avoir les tenues les plus performantes. Ils ne nous connaissaient pas, il était normal qu’ils se posent des questions”, concède Patrick Ouyi. Seuls l’athlétisme, le handball, le basket et le football ont choisi de se passer du Coq Sportif et de faire appel à leurs propres équipementiers. Après les JO, les collaborations pourraient se poursuivre avec certaines d’entre elles. Surtout, la marque espère poursuivre l’aventure avec l’équipe de France olympique en 2028 à Los Angeles.

Après plusieurs années de pertes, liées à la crise sanitaire mais aussi au repositionnement du modèle, Marc-Henri Beausire se montre confiant : “Paris 2024 est une étape extrêmement importante dans le développement, et va définir les dix prochaines années”. Le marché français fait actuellement office de prototype pour l’entreprise, qui entend répliquer le modèle à l’étranger, et plus particulièrement aux Etats-Unis. “Notre patience va devenir payante”, assure l’entrepreneur. Le 13 juillet prochain, les machines à coudre s’arrêteront quelques minutes, le temps d’observer la flamme olympique, de passage à Romilly-sur-Seine. Une étape symbolique avant la grand-messe de l’été où Le Coq paradera enfin aux yeux de tous.

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