Tesla : pour Elon Musk, la conquête de l’Europe vire au cauchemar

Tesla : pour Elon Musk, la conquête de l’Europe vire au cauchemar

En partant à la conquête de l’Europe, le cow-boy Tesla n’avait certainement pas anticipé pareil choc culturel. Depuis plus de quatre mois, les mécaniciens de ses ateliers de réparation en Suède mènent ce qui est devenu “la plus longue grève de l’histoire récente du pays”, selon les mots de Jesper Pettersson, un porte-parole du puissant syndicat national IF Metall – 300 000 adhérents à son actif. A l’origine de ce conflit inédit, le refus du producteur de voitures électriques de signer la convention collective qui fixe les bases de leurs conditions de travail, sous prétexte qu’il ne le fait dans aucun autre pays. Une décision téméraire : plus de 90 % des salariés suédois sont couverts par de tels accords. “Qu’il s’agisse des salaires, des horaires ou des retraites, tout est fixé par conventions collectives en Suède. Elles se trouvent au cœur de notre modèle”, insiste Jesper Pettersson.

De quoi expliquer la vaste fronde qui s’est ouverte contre l’entreprise du milliardaire Elon Musk dans le pays scandinave. Par solidarité avec les 130 mécaniciens en grève et pour protéger l’un des piliers de leur modèle social, les syndicats multiplient les opérations à l’encontre du groupe américain : arrêt du déchargement de ses véhicules dans les ports, des livraisons des plaques d’immatriculation par la poste locale et de l’entretien de ses bornes de recharge électriques, suspension de la collecte des ordures devant ses points de vente… L’ancien Premier ministre social-démocrate Stefan Löfven – qui a longtemps présidé IF Metall – a appelé depuis son compte Facebook les clients suédois à ne pas acheter Tesla, se félicitant que les taxis de Stockholm aient cessé d’acquérir des véhicules auprès du constructeur pour agrandir leur flotte.

Des “actions de sympathie” dans d’autres pays

Pas de chance pour l’entreprise automobile, le conflit suédois a vite fait tache d’huile. Et les dockers danois, norvégiens et finlandais d’annoncer tour à tour au mois de décembre leur intention de bloquer les livraisons de véhicules de la marque, dans le cadre d’”actions de sympathie” à l’égard de leurs voisins nordiques. Quelques jours plus tard, un consortium d’investisseurs institutionnels – parmi lesquels figure le gros fonds de pension norvégien KLP, près de 70 milliards d’euros d’actifs sous gestion – a enjoint Tesla de “reconsidérer son approche actuelle à l’égard des syndicats”, faisant part de son attachement “au droit d’exiger une convention collective” dans une lettre consultée par l’agence Reuters.

L’opposition à Tesla pourrait-elle continuer à enfler ? Au sein d’IF Metall, Jesper Pettersson affirme recevoir “un grand soutien de leur organisation sœur”, le syndicat allemand IG Metall. En octobre dernier, celui-ci a assuré enregistrer une nette hausse des adhésions au sein de l’usine de Tesla à Grünheide, au sud-est de Berlin, sur fond d’inquiétudes autour de la sécurité au travail. Un mois plus tard, la dizaine de milliers d’employés du site arrachait une augmentation des salaires de 4 % et la garantie qu’un nouveau véhicule serait produit sur place, à l’issue d’une visite d’Elon Musk. Assez pour freiner l’émergence d’un mouvement social d’ampleur ? “Il existe un risque de contagion de l’Europe du Nord à l’Allemagne, d’autant plus que l’usine de Berlin a connu quelques moments de tensions”, considère Arnaud Aymé, spécialiste des transports pour le cabinet SIA Partners.

Le projet d’extension en Allemagne rejeté

Or, Tesla a déjà beaucoup à faire outre-Rhin. Son projet d’extension à Grünheide a été retoqué par la population locale dans le cadre d’un vote consultatif. Un revers dont s’est délecté à la fin du mois de février le ministre du Développement économique italien, Adolfo Urso. Indifférente à la grogne sociale dans le Nord de l’Europe, l’Italie fait partie des nombreux pays à se battre pour abriter la deuxième usine que Tesla pourrait bâtir sur le Vieux Continent. Et le rejet du projet d’agrandissement en Allemagne “conduira à une décision du groupe”, a promis Adolfo Urso, tout en se félicitant d’avoir reçu des réponses “très positives” de la part de la société.

Engagé dans une féroce guerre des prix, Tesla a plus que jamais besoin d’un appareil de production capable de répondre à la demande, tant la concurrence monte en puissance. Au quatrième trimestre de 2023, le chinois BYD a ravi au trublion américain la place de premier vendeur de voitures électriques de la planète, signe d’un changement d’ère dans l’automobile. Les constructeurs historiques, Stellantis et Renault en tête, affûtent aussi leurs offres pour prendre la tête dans la course à l’électrique. Dans ce contexte, “l’entreprise pourrait finir par avoir un problème si les mouvements sociaux l’empêchent d’approvisionner le marché européen. Mais nous n’en sommes pas là”, modère Arnaud Aymé, qui balaye l’idée d’un effet des grèves sur l’image de Tesla.

Les chiffres tendent à valider ce constat. En décembre 2023, les ventes du groupe ont bondi de 9 % sur le marché suédois. Sur l’ensemble de l’année, le SUV Model Y a été le véhicule particulier le plus vendu d’Europe, toutes motorisations confondues, assure le journal Automotive News. Mais d’autres experts se montrent plus prudents, comme l’analyste allemand Matthias Schmidt : “Ces événements constituent sans doute un énorme choc culturel pour Tesla, qui a l’habitude de piétiner la réglementation. Cela pourrait potentiellement entraver son rythme de progression et avoir un impact sur son image de marque.” D’autant que le bras de fer ne semble pas près de se terminer. Sans surprise, Elon Musk s’est fendu d’un post sur le réseau social X pour qualifier la non-délivrance des plaques d’immatriculation en Suède “d’insensée”. A en croire IF Metall, les négociations restent au point mort. Qu’importe : le syndicat suédois se dit prêt à poursuivre la grève “aussi longtemps que nécessaire”.

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