Le génome de nos ancêtres nous renseigne sur le risque de maladie, par le Pr Alain Fischer

Le génome de nos ancêtres nous renseigne sur le risque de maladie, par le Pr Alain Fischer

L’homme moderne – Homo sapiens – est sorti d’Afrique il y a environ 60 000 ans pour gagner en premier lieu le Proche-Orient et le Moyen-Orient. Mais comment a-t-il ensuite atteint l’Europe ? Une série d’articles scientifiques parue récemment dans la revue Nature et provenant d’une équipe internationale pilotée en Grande-Bretagne apporte des informations qui permettent de commencer à reconstituer notre arbre généalogique des 45 000 dernières années. Cette recherche a valeur historique mais nous renseigne aussi, comme nous allons le voir, sur des risques de maladie.

C’est le séquençage du génome de 1 600 de nos ancêtres européens datant d’il y a 11 000 à 2 000 ans, comparé aux données du séquençage du génome de plus de 400 000 Britanniques contemporains, qui a permis cette prouesse, en s’appuyant également sur les données archéologiques disponibles.

Chasseurs-cueilleurs, fermiers et éleveurs

Il en ressort que l’Europe occidentale a été colonisée par Homo sapiens en trois vagues successives. D’abord par des chasseurs-cueilleurs venus d’Asie, il y a environ 45 000 ans, et qui ont progressivement habité l’ensemble de l’espace européen. Puis est arrivée une population de fermiers en provenance du Moyen-Orient – plus particulièrement de l’Anatolie – à la fin de l’âge de pierre (mésolithique), il y a environ 11 000 ans. C’est le début de l’agriculture. Cette population, tout en se mélangeant avec les habitants précédents, les a progressivement supplantés.

Enfin au début de l’ère néolithique, il y a environ 5 000 ans, une population pastorale d’éleveurs, originaire du Nord de la mer Noire et de la mer Caspienne est arrivée et s’est implantée particulièrement dans le nord de l’Europe. Au Danemark, cette population a remplacé en très peu de temps les habitants précédents – les agriculteurs – peut-être de façon violente, peut-être en raison de leur affaiblissement du fait d’épidémies.

Nos ancêtres du nord de l’Europe avaient une réponse immunitaire plus forte

La comparaison avec les données génomiques et les traits de nos contemporains indique que cette population d’éleveurs, les derniers arrivés, est en partie à l’origine de la population scandinave actuelle dont elle partage une taille plus grande et un teint de peau plus clair que celle des Européens du Sud. Les caractéristiques d’une population peuvent refléter une sélection de personnes qui dispose d’un avantage : une meilleure adaptation à l’environnement notamment nutritionnel ou une meilleure résistance à l’égard d’agents infectieux.

Dans le contexte de l’évolution considérable du cadre de vie au néolithique et ensuite à l’âge de bronze – densification de la population, cohabitation avec les animaux d’élevage et leurs parasites –, il est très vraisemblable que ces populations ont été confrontées à l’émergence de fléaux infectieux comme la tuberculose ou la peste. L’analyse génétique de nos ancêtres du nord de l’Europe met en évidence à cette période un phénomène de sélection positive d’ordre immunitaire, c’est-à-dire une augmentation de fréquence des individus porteurs de traits génétiques en rapport avec les réponses immunitaires. Cela suggère une sélection par résistance aux épidémies.

Parmi ces traits figure un allèle “antigène” du système d’histocompatibilité HLA (human leucocyte antigen) dont on connaît le rôle déterminant dans l’immunité cellulaire. Or, il se trouve que ce même allèle est connu comme facteur de risque de survenue de la sclérose en plaques, maladie bien plus fréquente dans le Nord que dans le sud de l’Europe. Sa prévalence est de l’ordre de 140 cas pour 100 000 personnes en moyenne en Europe, mais est deux fois élevée en Europe du Nord… Et est bien plus faible en Asie et en Afrique.

La sclérose en plaques est une maladie auto-immune qui affecte le système nerveux par attaque de la myéline, cette substance qui entoure et protège les nerfs. La concordance entre plus forte prévalence de la maladie dans le nord de l’Europe et présence de l’allèle HLA à risque indique que la population d’éleveurs arrivée voici 5 000 ans a amené avec elle ce facteur de risque de la sclérose en plaques. Ce qui fut sans doute un facteur de protection contre des maladies infectieuses – grâce à une réponse immunitaire plus efficace – est devenu pour les Européens du Nord un facteur de vulnérabilité à la sclérose en plaques. Un retournement de situation sans doute non exceptionnel, fruit des conditions de vie contemporaines à l’abri de la plupart des maladies infectieuses dévastatrices !

Alain Fischer est président de l’Académie des sciences et cofondateur de l’Institut des maladies génétiques.

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