Le pape François et le “bien manger” : entre coups de com’ et coups de fourchette

Le pape François et le “bien manger” : entre coups de com’ et coups de fourchette

Cette chronique raconte la petite ou la grande histoire derrière nos aliments, plats ou chefs. Puissante arme de soft power, marqueur sociétal et culturel, l’alimentation est l’élément fondateur de nos civilisations. Conflits, diplomatie, traditions, la cuisine a toujours eu une dimension politique. Car, comme le disait déjà Bossuet au XVIIᵉ siècle, “c’est à table qu’on gouverne”.

Rares sont ceux qui ont eu la chance de pénétrer dans ce lieu hors du temps où la solennité côtoie le sacré. En ce 27 mars 2014, Barack Obama arrive dans la cour Saint-Damase, au cœur même de la cité vaticane, accueilli par le préfet de la maison pontificale et les gardes suisses. Le président américain entre alors dans le majestueux palais apostolique et ses baies vitrées qui donnent à 360 degrés sur la place Saint-Pierre de Rome. S’ensuit une longue déambulation jusqu’à la bibliothèque du pape. C’est dans cette immense pièce, avec un simple bureau et quelques armoires vitrées garnies de livres anciens, que François reçoit les dirigeants des 180 pays avec lesquels le Saint-Siège entretient des relations diplomatiques.

A l’issue de quarante-cinq minutes d’entretien, l’heure est à la traditionnelle remise des cadeaux. Ce jour-là, Barack Obama tient dans ses mains une étrange boîte. A l’intérieur, des semences de fruits et légumes plantés à la Maison-Blanche et destinées aux jardins de la résidence d’été des papes de Castel Gandolfo, construite sous le règne d’Urbain VIII (1623-1644) et située à 25 kilomètres de Rome.

A cet endroit, se trouve une ferme bio de 25 hectares où sont produites, chaque jour, toutes les merveilles de l’Italie qui terminent sur la table de Sa Sainteté : le lait des vaches frisonnes à l’origine du parmesan, l’huile d’olive, les agrumes, les poivrons, les herbes aromatiques et, évidemment, le vin (pour la messe ?), avec ses cépages comme la malvasia ou le trebbiano… Un paradis agricole acquis par Pie XI en 1929 pour souligner l’attachement de l’Eglise catholique au monde rural.

Du yaourt, du lait et de l’huile d’olive produits dans la ferme biologique de la résidence d’été des souverains pontifes, à Castel Gandolfo, désormais ouverte aux touristes en tant que musée, depuis que le pape François a renoncé à y séjourner, en 2017.

L’encyclique environnementaliste du pape

Ce modeste cadeau – en apparence – de Barack Obama est un astucieux clin d’œil à deux penchants bien affirmés du souverain pontife : l’agroécologie et le bien manger. Ce potager trois étoiles, qui ferait pâlir d’envie tous les grands chefs-jardiniers du guide Michelin, colle parfaitement avec l’image que souhaite véhiculer François.

Non seulement le “pape des pauvres” a choisi de ne pas faire de cette demeure grandiose sa résidence d’été comme les autres chefs de l’Eglise catholique et l’a ouverte au public, mais, en plus, il n’hésite pas, quand son agenda le lui permet, à venir déjeuner sur place avec la cinquantaine de familles qui y travaillent.

Consumérisme, autosuffisance alimentaire, circuits courts, écologie… Ces notions, réservées il y a encore quelques années aux militants, font désormais partie du vocabulaire papal. En 2015, François publie sa seconde encyclique à six mois de la conférence climatique de Paris. “Laudato si”, un texte clairement révolutionnaire pour une institution plutôt frileuse, où le souverain pontife lance un appel aux “puissants” afin d’agir le plus vite possible pour sauver la planète. Dans l’un des chapitres, le pape critique ouvertement le gaspillage alimentaire que l’on estime à 1 milliard de repas chaque jour dans le monde en 2022, selon l’ONU. “Jeter de la nourriture, c’est comme si l’on volait la nourriture à la table du pauvre”, écrit-il.

Le plaisir charnel de la nourriture

L’image d’un pape engagé passe aussi par celle d’un pape plus moderne que ses prédécesseurs. Quoi de mieux que la promotion du plaisir “charnel” de la table par opposition à la “bigoterie” qui a souvent prévalu au sein de l’institution catholique. “L’Eglise a condamné le plaisir inhumain, brut, vulgaire, mais elle a en revanche toujours accepté le plaisir humain, sobre, moral. […] Le plaisir de manger sert à vous maintenir en bonne santé en mangeant, tout comme le plaisir sexuel est fait pour rendre plus beau l’amour et garantir la perpétuation de l’espèce”, dit-il dans un ouvrage d’entretiens* publié sous la plume de Carlo Petrini, écrivain et fondateur du mouvement Slow Food, créé dans les années 1980 pour s’opposer à la restauration rapide.

Mais il serait malhonnête de faire de François un simple parangon de la communication. L’éducation au bien manger, ce fils d’immigrés italiens l’a reçue dès l’enfance. Dans la cuisine des Bergoglio règne une douce odeur où les saveurs de l’Italie et de l’Argentine se mêlent : les cappellettis à la sauce tomate, le risotto piémontais, les calamars farcis, les empanadas, le matambre, sorte de roulé à la viande typique de l’Argentine, et l’indispensable pot de dulce de leche (confiture de lait), raconte dans un ouvrage** le journaliste Roberto Alborghetti. L’asado, la technique de rôtissage de la viande qui fait la fierté du continent sud-américain, n’a aucun secret pour ce garçon qui rêvait de devenir boucher et qui a finalement obtenu un diplôme de technicien en chimie agroalimentaire.

Lorsqu’il accède à la fonction suprême de l’Eglise, ses prestigieux visiteurs ne ratent pas une occasion de lui offrir des cadeaux gourmands. Pour sa première rencontre avec François, en 2014, la reine Elizabeth d’Angleterre lui remet un panier en osier contenant un échantillon des produits des domaines royaux, avec notamment une douzaine d’œufs, du miel et une bouteille de whisky !

Lui qui dénonce sans relâche le “colonialisme économique” des multinationales s’est avéré bien dépourvu lorsque débarque, le 30 décembre 2016, à deux pas d’une entrée de la cité du Vatican, la plus connue d’entre elles : McDonald’s, le symbole planétaire de la malbouffe. Un restaurant loué par l’Apsa, le gestionnaire… des biens immobiliers du Vatican.

Une association de défense du quartier historique entourant le Vatican et plusieurs cardinaux – dont l’un a écrit au pape – ont beau avoir tout essayé pour stopper la juteuse location de l’établissement à près de 30 000 euros mensuels, rien n’y a fait. A cet endroit, les burgers au poulet ont remplacé les artichauts à la romaine. Et tout souverain pontife qu’il est, François n’a pas pu faire de miracle.

Nos conseils de lecture :

Un ouvrage de cuisine italienne : In cucina. Mes plus belles recettes italiennes, par Pezone Alba (Hachette pratique, 2017).

Un ouvrage de cuisine argentine : Empanadas. Cuisine argentine, par Enrique Zanoni et Gaston Stivelmaher (Marabout, 2023).

* La Terre de demain. Dialogues avec le pape François sur l’écologie intégrale, par Carlo Petrini (Seuil, 2021).

** A la table du pape François. Ses histoires et ses recettes pour donner du goût à la vie, par Roberto Alborghetti (Bayard, 2018).

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