C’est la série la plus attendue de l’année. Ce 21 mars, Netflix a mis en ligne Le Problème à trois corps, l’adaptation par les créateurs de Game of Thrones d’un monument de la science-fiction. Le roman et best seller du Chinois Liu Cixin raconte une invasion extraterrestre déclenchée par un célèbre casse-tête mathématique : le problème à trois corps. Une équation sur laquelle les mathématiciens se penchent depuis longtemps, sans avoir réussi à y trouver une solution. Pour nous éclairer, nous avons interrogé – en trois questions – Alain Chenciner, professeur émérite à l’Université Paris-Cité, chercheur associé à l’Observatoire de Paris, spécialiste du problème à trois corps et lecteur de l’œuvre de Liu Cixin.
L’Express : Qu’est-ce que le problème à trois corps ?
Alain Chenciner : C’est un problème qui s’écrit très simplement, en une équation d’une demi-ligne, mais dont les solutions sont extraordinairement complexes. Il s’agit de prédire les mouvements de plusieurs corps [NDLR : des soleils et une planète, par exemple, dans l’œuvre de Liu Cixin] qui s’attirent mutuellement. Pour cela, il faut déterminer leur position et leur vitesse à un instant donné, ce qui permettra de définir leur trajectoire dans le futur et dans le passé. Le mouvement des engins spatiaux est régi, par exemple, par les équations du problème des “n” corps [NDLR : “n” désigne un nombre entier]. Si vous voulez envoyer quelque chose sur Mars, il vous faut des estimations très précises. Pour un corps, nous avons besoin de six coordonnées : trois pour la position, trois pour la vitesse. Pour trois corps, il nous faut donc 18 coordonnées. Pour un mathématicien, traiter du problème à trois corps, cela veut donc dire travailler dans un espace à 18 dimensions. On sait facilement ce qu’il se passe dans un espace à deux dimensions. L’espace dans lequel nous vivons en a trois : la longueur, la largeur, la hauteur, et c’est déjà plus compliqué à appréhender. Alors, imaginez à 18 !
L’Express : Cette équation est-elle vraiment insoluble ?
Alain Chenciner : L’équation est théoriquement soluble mais cette solution ne permet pas en général de comprendre “qualitativement” à quoi vont ressembler les mouvements qui lui correspondent. Plus précisément, une telle description est possible, mais uniquement sur des temps suffisamment courts. Une réponse dite “qualitative”, c’est exactement ce que fait Liu Cixin. Il nous dit “voilà : pendant un certain temps, cette planète va tourner autour de ce soleil-là, et puis tout d’un coup, elle va aller vers cet autre soleil et tourner dans l’autre sens”. Le roman illustre bien cette complexité. Il la prend comme thème et, comme ce mouvement est imprévisible, il peut imaginer beaucoup de choses. Il bâtit ensuite à partir de là son scénario. Il raconte la vie des Trisolariens, des habitants d’une planète aux orbites très bizarres et dont le climat chaotique, avec des ères glaciaires ou des ères très chaudes, les obligent à trouver des solutions pour faire face.
L’Express : Est-ce que l’on pourrait considérer ce livre comme un traité de physique, selon vous ?
Alain Chenciner : C’est un livre intéressant à plusieurs titres. Je l’ai trouvé extrêmement audacieux. C’est un livre politique au départ. On peut faire un parallèle entre ce que vivent les Trisolariens et l’idée développée par certains que nous devrons un jour quitter la Terre à cause du réchauffement climatique. Nous n’en sommes pas encore là mais on sait que si l’on attend quelques milliards d’années, le soleil va devenir une géante qui va avaler la Terre. Et donc, que la vie ici ne peut pas durer éternellement. D’ailleurs, les scientifiques ne savent pas vraiment ce que veut dire éternellement. Mais non, ce n’est pas un traité de physique.
La seule information qui puisse ressortir au niveau mathématique, c’est que ce problème est tellement compliqué que c’est extraordinairement difficile de prévoir quels seront les mouvements de cette planète autour de ces trois soleils. Par ailleurs, c’est un livre très pessimiste. Selon moi, son message est que si une autre civilisation parvient à faire contact avec la Terre, il faudra la détruire avant qu’elle-même ne le fasse avec nous. Je crois que nous sommes très loin de rencontrer d’autres formes de vies, si jamais elles existent… ce qui est assez improbable.
