“Le restaurant” : tous les ingrédients d’une série réussie, par Christophe Donner

“Le restaurant” : tous les ingrédients d’une série réussie, par Christophe Donner

J’en suis au septième épisode de la deuxième saison de la série suédoise Le Restaurant, diffusée gratuitement par Arte et pas gratuitement sur Canal +. Il y a quatre saisons de dix épisodes de cinquante-huit minutes. C’est long, moins lent que du Bergman, et comme toujours quand une série est réussie, elle paraît meilleure à chaque épisode.

Que ça se passe dans un commissariat, un hôpital, un château du Yorkshire ou un cabinet d’avocats, ce ne sont pas les lieux qui comptent, mais les acteurs, les personnages qu’ils incarnent et ce qu’on leur fait dire. Le restaurant ne vaut que par les portes, les couloirs et les multiples possibilités d’entrées et de sorties favorisant la circulation des intrigues. Et comme dans toutes les histoires qui tiennent debout, le méchant tient la corde.

Dans l’art de se faire détester, Gustaf Löwander, interprété par Mattias Nordkvist, se montre le plus servile, le plus obséquieux et hypocrite des loufiats. Fils aîné de la douairière, Gustaf a très mal géré le restaurant de sa mère, si bien qu’au sortir de la guerre l’établissement le plus réputé de Stockholm se retrouve en pleine déconfiture. Hitler est mort mais les collabos sont restés, reconvertis dans le trafic de tickets de rationnement et l’extorsion de fonds. Gustaf ne trouve rien de mieux que de faire appel à l’une de ces crapules pour renflouer la caisse du restaurant. Pour calmer sa mauvaise conscience, il boit, et l’ivresse éveille en lui des pulsions infâmes qui le poussent à tromper sa femme avec de jeunes garçons dans des maisons spécialisées, tenues par son créancier qui peut désormais le faire chanter avec des photos de ses ébats.

Gustaf n’a pas encore touché le fond quand débarque Peter, son petit frère, de retour du service militaire. Le fait que la Suède soit restée neutre pendant la guerre explique sans doute sa bonne mine. Il est beau, svelte, compétent, démocrate, il a tout pour nous plaire et rendre jaloux son grand frère Gustaf, mais ça n’est pas encore assez au goût des scénaristes : l’enfant prodigue s’est acoquiné avec une jeune juive, rescapée des camps, dont il est amoureux. Cette liaison audacieuse permet aux créateurs de la série d’ajouter l’antisémitisme au fardeau de Gustaf qui, tel un scorpion suicidaire, décide de vendre ses parts du restaurant familial pour aller monter son propre établissement… qui fait faillite avant même l’inauguration.

Gustaf touche le fond, il est ruiné, déshonoré aux yeux de sa femme qui l’a surpris en train de faire ses cochonneries avec un jeune livreur. On n’a pas le temps de se demander ce que les scénaristes vont encore lui faire subir que ce crétin de Gustaf décide de consulter un psychiatre pour guérir de ses vilains penchants sexuels. A crapule, crapule et demie, le psychiatre prescrit au malade une séance d’électrochocs. C’est le grand retournement de la série : Gustaf a rencontré plus bête et plus méchant que lui. Maintenant, il nous fait pitié. On aurait presque envie qu’il s’en sorte. Que sa femme, tellement dévouée, tolérante et aimante, vienne le sauver, encore une fois, de sa dernière connerie…

On sentait le truc venir, en fait, c’était trop d’accablement sur les épaules de l’aîné raté. Et on voyait le gentil, l’irréprochable, le toujours aussi élégant petit frère Peter qui, l’air de rien, au fil des péripéties familiales et au feu des réalités commerciales, commençait à se raidir. Il avait sauvé l’entreprise en faillite, ressoudé sa famille en péril, il avait fait face à la violence, usant à son tour de la force quand il avait fallu (un bon et inattendu coup de poing dans la gueule qui nous a fait tellement de bien), il avait réussi l’exploit de soumettre le mafieux à sa loi, celle du droit. Ah vraiment, on l’aimait beaucoup, lui et son histoire d’amour avec la merveilleuse rescapée. Mais voilà que notre gendre idéal montre des penchants autoritaires. Vont-ils avoir l’ultime cruauté, nos scénaristes, de nous le rendre odieux ?

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