Les embryons congelés “sont des enfants” : l’inquiétant revirement de l’Alabama

Les embryons congelés “sont des enfants” : l’inquiétant revirement de l’Alabama

La décision a provoqué une véritable onde de choc aux Etats-Unis, et plus spécifiquement dans l’Etat de l’Alabama. Vendredi 16 février, la Cour suprême de cet Etat du sud a statué sur le sort des embryons congelés, qu’elle considère désormais comme des personnes à part entière. Ce qui signifie qu’en cas de destruction des embryons, l’individu peut être inculpé pour meurtre.

Dans leur arrêt, les juges de la Cour suprême estiment en effet que “les enfants à naître sont des enfants” comme les autres, et que les embryons congelés devraient bénéficier de la même protection que les bébés en vertu de la loi sur le décès accidentel d’un mineur (Wrongful Death of a Minor Act). L’Alabama devient ainsi le premier Etat à attribuer des droits humains à un organisme en développement à un stade aussi précoce après la procréation.

Les médecins vent debout

Sans surprise, le revirement de jurisprudence a été rapidement salué par les activistes “pro-life“, qui se réjouissent d’une “clarté morale” traduite en décision de justice. “Des enfants sont créés à volonté dans des boîtes de Petri, puis détruits et utilisés à des fins d’expérimentation”, a déclaré Lila Rose, présidente et fondatrice de Live Action, une organisation nationale de lutte contre l’avortement. “Il n’est pas acceptable de laisser des êtres humains dans de la glace. Il n’est pas acceptable de les détruire. Ce ne sont pas des marchandises”, martèle Lila Rose auprès de nos confrères du Washington Post.

Une position à rebours de bon nombre de professionnels de santé, qui se déclarent extrêmement préoccupés d’une décision qui ne dispose d’aucun fondement médical. “Malheureusement, c’est devenu un débat politique, alors qu’il s’agit en réalité d’un débat scientifique, et qui soulève des questions sur la façon dont nous pouvons pratiquer les soins médicaux en tant que professionnels de santé”, a déclaré Mamie McLean, médecin dans l’une des plus grandes cliniques de fertilité de l’État, auprès du journal américain.

D’autant que le recours à la technique de fécondation in vitro n’a cessé d’augmenter ces dernières années. En 2021, quelque 97 000 enfants sont nés par FIV dans l’une des 453 cliniques du pays en 2021, selon les Centers for Disease Control and Prevention. Ils étaient un peu plus de 78 000, quatre ans plus tôt, en 2017.

Biden juge la décision “scandaleuse”

Fait surprenant : rendue en fin de semaine dernière, la décision a mis plusieurs jours à faire parler d’elle. Il a par exemple fallu attendre le mardi 20 février, soit quatre jours après le jugement, pour que la Maison Blanche réagisse. “C’est exactement le type de chaos auquel nous nous attendions lorsque la Cour suprême a annulé Roe v. Wade (arrêt de la Cour suprême fédérale datant de 1973, qui protège le droit à l’avortement sur l’ensemble du territoire américain, NDLR) et a ouvert la voie aux politiciens pour dicter aux familles certaines des décisions les plus personnelles”, a déclaré la secrétaire de presse de la présidence des Etats-Unis, Karine Jean-Pierre, aux journalistes voyageant avec le président Joe Biden. Jeudi 22 février, Joe Biden lui-même a qualifié de “scandaleuse” cette décision de justice.

Ses conséquences sur les processus de fécondation in vitro pourraient se révéler dévastatrices. Tout d’abord, compte tenu de cette décision, “ni les patients, ni les médecins, ni les laboratoires de fécondation in vitro n’accepteront d’avoir des embryons congelés”, résume le docteur McLean, officiant en Alabama. Ainsi, certains établissements spécialisés dans l’assistance à la procréation pourraient bien se voir contraints de suspendre leurs activités.

En outre, Katie O’Connor, directrice de la politique fédérale en matière d’avortement au National Women’s Law Center, a expliqué au Washington Post que la décision pourrait entraîner une confusion chez les médecins, qui auraient du mal à différencier ce qui est interdit de ce qui ne l’est pas en matière de palliatifs à la stérilité.

Un florilège de problèmes sous-jacents

Deuxième difficulté : aux Etats-Unis, le scénario ordinaire reste aujourd’hui encore la congélation de plusieurs embryons à la fois, dans l’espoir que l’un d’eux soit viable et puisse donner naissance à un enfant. Sur la base de ce constat, quid, donc, des autres qui ne seront pas utilisés ? “Si quelqu’un a encore cinq embryons et qu’il décide de ne pas avoir d’autre enfant et demande à ce qu’ils soient détruits, est-ce que [le médecin] pourrait être inculpé pour avoir été complice d’un crime ?” s’interroge Jennifer Lincoln, gynécologue-obstétricienne diplômée qui exerce à Portland (Oregon), auprès du journal.

Emerge également la question de la hausse des coûts que provoquerait la reconnaissance des droits de l’embryon. En effet, par peur d’être inquiété pour meurtre en cas de non-utilisation des œufs, les médecins pourraient décider de se limiter à un nombre d’ovules plus restreint lors des prélèvements. Or, moins le nombre d’ovules prélevés est important, plus les chances d’obtenir une fécondation diminuent. “Certaines patientes pourraient ainsi avoir besoin de plusieurs prélèvements d’ovules pour obtenir le même taux de grossesse que celui que nous essayions d’obtenir avec un seul prélèvement”, explique Mamie McLean. Des tentatives multiples “qui coûteront plus cher”, avance la médecin.

Atteinte au droit de la femme à disposer de son corps

Autre facteur qui pourrait faire gonfler la note de la démarche : si l’on suit la logique de la jurisprudence rendue vendredi dernier, les embryons non utilisés devront être conservés après le décès du couple qui a sollicité une fécondation in vitro. “Voire après celui de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants”, pointe l’Association médicale de l’État de l’Alabama.

Raison pour laquelle de nombreux couples ayant eu recours à une FIV réfléchiraient déjà à expédier leurs embryons congelés hors de l’Etat. Mais là encore, l’opération est coûteuse. Comptez 1 500 dollars environ pour envoyer des embryons à des laboratoires d’autres Etats, “dont les capacités de stockages seraient déjà mises à rude épreuve”, alerte auprès du Washington Post AshLeigh Meyer Dunham, une mère de Birmingham ayant conçu un enfant par fécondation in vitro et qui est associée dans un cabinet d’avocats spécialisé dans les affaires de techniques de procréation assistée.

Une augmentation des prix qui risque de se traduire par des difficultés pour certaines d’avoir accès à ce service. De nombreuses femmes risqueraient ainsi ne plus avoir les moyens de financer une aide à la procréation, ce qui reviendrait inévitablement à un recul des libertés et des droits des femmes, selon de nombreuses associations féministes.

Le constat est d’autant plus inquiétant lorsque l’on sait que cette décision, bien que limitée aux frontières de l’Alabama, s’inscrit dans le cadre d’une vague conservatrice notamment incarnée par les “pro-life”, des activistes militant contre le droit à l’avortement et la procréation médicalement assistée. Un mouvement qui fleurit aux quatre coins des Etats-Unis, avec une conviction greffée aux lèves : dès lors qu’il y a fécondation, il y a vie.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *