Les quatre guerres de l’Ukraine, entre résilience et lassitude, par Marion van Renterghem

Les quatre guerres de l’Ukraine, entre résilience et lassitude, par Marion van Renterghem

Comment estimer la durée de la guerre et le moment éventuel d’en négocier la fin ? En Ukraine, la question est taboue. De la directrice de la maternité de Tchernihiv, touchée par le souffle de trois missiles balistiques Iskander tombés sur l’hôtel voisin le 17 avril, aux responsables de l’Etat au plus haut niveau du bureau présidentiel à Kiev comme Ihor Zhovkva, en passant par des militaires revenus du front ou un secouriste épuisé par la vue des cadavres, personne ne fait la moindre concession sur l’objectif déclaré de poursuivre les combats “jusqu’à ce que le dernier soldat russe soit parti ou mort” et de récupérer l’intégrité du territoire national. Un député du parti au pouvoir, Oleksandr Merezhko, définit leur moral par cette phrase du boxeur Mike Tyson : “Oui, je suis fatigué. Mais si j’arrête de me battre, je ne vais pas améliorer ma situation. Alors je continue à me battre.”

Dans le plus grand hôpital de Lviv, près de la frontière polonaise, des hommes et des femmes victimes de la guerre se retrouvent en salle de gym. Sacha et Ilya reviennent du front. Ils s’entraînent à marcher sur un tapis roulant et à trouver l’équilibre sur un plateau oscillant avec leur jambe unique. L’autre est amputée. Ils s’accoutument à leur nouvelle prothèse dans cette unité de l’hôpital spécialisée dans la réhabilitation psychologique et la fabrication de prothèses bioniques dernier cri. Sacha veut retourner à la vie civile, Ilya est pressé de retourner se battre. “50 % des soldats soignés ici demandent à retourner sur le front”, dit le directeur de cette unité de 1 200 lits baptisée Unbroken (Intact). Le nom vient d’un des patients qui, avant de repartir lui aussi à la guerre, avait offert à ses soignants un dessin barré de ce mot : Unbroken.

De manière plus discrète, les Ukrainiens sont partagés entre la résilience et la lassitude. Les soldats mobilisés vivent de plus en plus mal qu’à l’ouest de la ligne de front, et en particulier à Kiev, la vie semble coupée de la réalité de la guerre. “Pour une grande partie des Ukrainiens, les combats dans le Donbass sont aussi lointains que la Somalie”, constate froidement un responsable de la sécurité et de la défense.

Agir fort et vite

Comment terminer la guerre ? Après la contre-offensive ukrainienne ratée de l’été 2023 et une reprise foudroyante de l’avantage par les Russes, la dynamique s’inverse légèrement. Sur fond de succès ukrainiens en mer Noire, tout arrive en même temps : le déblocage américain des 60,8 milliards de dollars d’aide, la livraison en juin des avions de combat F-16 promis depuis un an, l’envoi de missiles de défense antiaérienne dont deux batteries antimissiles Patriot par l’Allemagne, un million d’obus produits en Europe ou achetés par les Européens à des pays tiers, de nouveaux missiles ATACMS livrés par le Pentagone et capables de frapper lourdement les arrières de l’armée russe… Le plan d’aide américain autorise aussi le président Joe Biden à confisquer et à vendre des actifs russes pour financer la reconstruction de l’Ukraine.

Les Ukrainiens livrent au moins quatre batailles en même temps. Parallèlement à la guerre militaire sur le terrain, à la guerre psychologique dans les têtes, à la guerre judiciaire consistant à documenter scientifiquement les crimes de guerre russes, il y a la guerre diplomatique. Ni les Russes ni les Ukrainiens ne sont pour l’instant en mesure d’atteindre leur objectif. Kiev n’envisage aucunement de négocier des territoires, mais ne semble pas exclure une étape ou une pause dans une guerre d’attrition dont on ne voit pas la fin.

Deux échéances obligent les alliés américains et européens à agir fort et vite : l’élection américaine de novembre, où une victoire de Donald Trump contre Joe Biden signerait la victoire de Vladimir Poutine en Ukraine, et la conférence sur la paix prévue en Suisse en juin, dans le prolongement du G7 en Italie. Se réuniront, à l’initiative du président Zelensky, les pays du G7 élargis à la Chine et aux pays du “Sud global” – sans la Russie. Officiellement, pour dresser le bilan des conséquences de la guerre sur l’économie mondiale. Officieusement, pour convaincre les Chinois et les pays du Sud de faire pression sur Poutine. Cette coïncidence de calendrier ne peut être due au hasard, au moment où l’Ukraine, en juin, sera le plus en position de force.

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